
1Les modalités de formation et d’évaluation courantes dans l’enseignement universitaire accordent une place prépondérante à la production d’écrits par les étudiants. La réalisation de ces travaux écrits représente un défi important pour les étudiants, et on devine aisément que le niveau de difficulté est plus grand encore pour les personnes qui ont à rédiger des textes dans une langue qui est différente de leur langue première de scolarisation, ce qui correspond à la situation des étudiants qui apprennent le français comme langue étrangère dans une institution universitaire d’un pays non francophone ou à celle des étudiants qui effectuent un séjour d’études ou de recherche au sein d’une institution francophone.
2Les initiatives se multiplient aujourd’hui afin de soutenir le développement des compétences en littératie universitaire tant en langue première qu’en langue seconde ou étrangère. De notre point de vue, il est important que les actions mises en place prennent en compte les transformations des pratiques actuelles de lecture et d’écriture à l’ère numérique. Le développement continu des technologies de l’information et de la communication vient en effet bouleverser nos pratiques de communication ainsi que nos formes d’apprentissage (Serres, 2012). La masse d’informations disponible sur Internet et les multiples ressources directement accessibles (correcteurs, dictionnaires en ligne, traducteurs…) transforment les manières d’écrire et d’apprendre à écrire tant en langue première qu’en langue seconde ou étrangère. Il paraît dès lors logique, dans ce contexte, de repenser la manière dont sont conçus les cours de français écrit proposés aux étudiants non francophones et de réfléchir aux modalités possibles d’intégration dans ces cours des nouvelles pratiques de communication médiée par les technologies (Dezutter et al., 2014) ainsi que des outils accessibles en ligne pour aider les scripteurs dans leurs tâches d’écriture.
3Dans cet article, nous présentons le résultat d’une recherche récente, financée par l’Agence universitaire de la Francophonie et impliquant des partenaires issus d’institutions universitaires du Québec, de Belgique, du Mexique et du Liban, tous actifs dans l’enseignement du français à des étudiants non francophones, en contexte d’immersion dans des universités francophones ou au sein de leurs universités d’origine1. Centré sur le développement de la compétence d’écriture en français des étudiants allophones à l’ère numérique aux quatre coins de la francophonie universitaire, ce projet international avait pour objectifs d’une part de mieux connaître les usages que font les étudiants apprenant le français langue seconde ou étrangère des ressources en ligne soutenant leurs pratiques d’écriture en français (traducteurs, correcteurs, outils de planification des textes…) et, d’autre part, de voir comment les enseignants des cours de français écrit pourraient davantage tenir compte des nouvelles pratiques des apprenants pour guider ces derniers dans l’usage des ressources. Le projet a été réalisé de 2010 à 2015 et a abouti à la création d’un blogue destiné à l’autoformation des enseignantes et enseignants, que nous présentons plus loin et qui est désormais en libre accès sur la toile.
4Les enquêtes que nous avons réalisées auprès de plus de trois cents étudiants universitaires non francophones de niveaux intermédiaire et avancé inscrits à des cours de français dans les quatre institutions universitaires participant au projet ont fait ressortir deux points essentiels. D’une part, en particulier via les échanges sur la toile, ces étudiants ont des pratiques d’écriture en français bien plus nombreuses et diversifiées que ne pouvaient le penser leurs enseignants. Les pratiques liées au développement de contacts sur les réseaux sociaux ainsi que les communications avec les membres de communautés de jeux en ligne sont régulières pour un nombre non négligeable d’étudiants. D’autre part, ces étudiants connaissent et utilisent un grand nombre de ressources en ligne qui les aident lorsqu’ils doivent écrire en français : outils de traduction, correcteurs automatiques, dictionnaires unilingues, bilingues ou multilingues, outils de schématisation, conjugueurs… Parmi les ressources évoquées par nos répondants, citons à titre d’exemple Bon Patron, Le conjugueur, Lexilogos… Ils estiment que ces outils facilitent leur travail d’écriture et ont l’impression qu’ils contribuent à l’amélioration de leur compétence. Ces outils sont surtout utilisés lors de la phase de mise en texte et pour le traitement de micro-unités (mots, tournures de phrases). Seuls 10 % des étudiants ont déclaré les utiliser lors de la phase finale de révision de leurs textes.
5L’accès aisé à ces ressources en ligne vient modifier la dynamique d’apprentissage et par conséquent le rôle des enseignants, qui ne constituent désormais plus la seule personne de référence quand les étudiants sont confrontés à des questions d’ordre linguistique. Selon les entrevues qui ont été réalisées auprès des personnes formatrices (Eid et al., 2013), celles-ci éprouvent le besoin de mieux connaître les outils qu’utilisent spontanément leurs étudiants afin de voir comment guider ces derniers en vue d’une utilisation optimale de ces outils, et de décider quels sont les outils qui pourraient être intégrés au sein des activités d’écriture proposées en classe, à condition bien sûr que l’infrastructure soit disponible et fiable dans les lieux d’enseignement. Les formateurs ont également constaté que les textes produits par leurs étudiants en dehors de la salle de classe comprennent de plus en plus de passages trouvés sur la toile sans que ces emprunts soient correctement signalés, ce qui rend nécessaire un travail de sensibilisation autour du plagiat.
6C’est pour répondre aux besoins exprimés par les personnes enseignantes et en nous basant sur les informations transmises par les étudiants à propos de leurs pratiques que nous avons élaboré un espace d’autoformation pour les enseignants de français baptisé Scriptur@les, accessible via le Web pédagogique : http://lewebpedagogique.com/scripturales. Cet espace comprend :
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des capsules sous la forme de diaporamas animés à propos de quelques notions théoriques de base : la compétence d’écriture et les modèles cognitifs de l’écriture en langue première et en langue seconde ou étrangère, les enjeux de l’écriture dans l’enseignement supérieur et universitaire, les caractéristiques de la communication écrite médiée par la technologie et la transformation des pratiques d’écriture sous l’influence des technologies de l’information et de la communication (TIC);
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un répertoire de fiches détaillées présentant de manière critique et illustrée une gamme d’outils existants et accessibles via la toile (logiciels et applications), pouvant servir au développement de la compétence scripturale : correcteurs, dictionnaires en ligne, traducteurs, idéateurs (générateurs de cartes mentales), analyseurs de textes, outils multiressources;
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des miniquestionnaires permettant aux personnes enseignantes de réfléchir sur leurs propres pratiques et représentations et de recueillir de l’information à propos des pratiques et représentations de leurs étudiants;
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des exemples de séquences didactiques intégrant les outils TIC pour le développement de la compétence scripturale, toutes testées en situation réelle d’apprentissage avec des apprenants de niveau intermédiaire à avancé (à partir du niveau B2 selon le Cadre européen commun de référence pour les langues). Les genres traités dans ces séquences sont le courriel de présentation personnelle, la lettre de motivation ou de présentation dans le cadre de la recherche d’emploi, le résumé, la chronique culturelle et l’avant-projet de recherche;
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une matrice d’aide à la conception de séquences portant sur la production d’écrits, intégrant les TIC.
7Même si le blogue Scriptur@les a été initialement pensé pour l’enseignement du français aux allophones, la réflexion proposée sur le renouvellement nécessaire de la didactique de l’écrit à l’ère numérique, ainsi que la variété des outils présentés pouvant servir le développement de la compétence scripturale pourraient aussi intéresser les enseignants qui travaillent avec des publics majoritairement francophones natifs.