Le français à luniversité

La rédaction de genres universitaires : pratiques et points de vue d’étudiants universitaires au Brésil et au Québec

Eliane Lousada et Olivier Dezutter

Texte intégral

1L’apprentissage de l’écriture fait partie des premiers apprentissages scolaires, et on imagine souvent qu’il doit être terminé avant l’entrée à l’université. Toutefois, les formateurs universitaires sont en mesure de constater qu’une proportion importante d’étudiants ne maîtrisent pas les genres textuels demandés à l’université. La difficulté qu’ils éprouvent à réaliser leurs travaux écrits peut avoir des conséquences sur l’objet même de leurs apprentissages et leur réussite.

2Pour répondre à cette problématique, des initiatives institutionnelles ont été développées au sein de nos institutions ces dernières années : la création du Laboratoire de littératie académique (Université de São Paulo) et du Carrefour institutionnel de rédaction et de communication efficace à l’Université de Sherbrooke1. Alors que le premier offre aux étudiants de recevoir sur demande une aide personnalisée lors de la rédaction de leurs travaux, le second a développé des cours en partenariat avec les facultés disciplinaires sur la communication écrite ou orale en contexte universitaire, dont plusieurs officiellement intégrés dans les cursus de formation.  

3La convergence des préoccupations entre les contextes brésilien et canadien nous a conduits à développer un projet commun2 visant à partager les expériences menées dans chaque institution ainsi qu’à réaliser une collecte de données auprès d’étudiants dans les deux institutions dans le but de concevoir un module de formation pour les enseignants universitaires, centré sur le développement des compétences en littératie.

4Nous présentons ici le cadre construit pour distinguer les différentes catégories de textes concernés et les résultats de l’enquête par questionnaire réalisée auprès d’une centaine d’étudiants de premier cycle du domaine des sciences humaines et sociales, dans les contextes brésilien et canadien. Le but de cette enquête était de mieux connaître les pratiques déclarées et les représentations des étudiants relatives à l’écriture en contexte de formation universitaire.

5La catégorisation des écrits relevant de la littératie académique
Dans les travaux sur le développement des compétences de lecture et d’écriture des étudiants universitaires, on retrouve l’usage, selon les auteurs, des adjectifs « académiques » ou « universitaires » associés aux termes littératie, genres ou écrits3. Ces deux adjectifs peuvent-ils être considérés comme équivalents ou recouvrent-ils des réalités différentes ?

6Dans nos recherches, nous nous référons à un premier niveau à la définition de genre textuel proposée par Bronckart (1997, p. 110), qui le définit comme un construit historique, disponible dans l’intertexte et qui s’adapte toujours à l’évolution des enjeux sociocommunicatifs. Selon cet auteur, les textes sont les produits des contextes sociaux dans lesquels ils émergent et sont conçus selon différentes « manières de faire » ou, autrement dit, différentes « sortes de textes » (1997, p. 75). 

7De manière plus spécifique, au sein du domaine général de la littératie académique, nous proposons de classer les textes produits dans le contexte universitaire en deux sphères selon le statut des scripteurs et la visée des textes, à savoir :   
— la sphère universitaire, à l’intérieur de laquelle les étudiants exercent leur métier d’étudiant et apprennent le futur métier qu’ils exerceront dans la vie professionnelle; pour ce faire, ils produisent les textes demandés par les professeurs et évalués par eux;
— la sphère académique, à l’intérieur de laquelle les professeurs-chercheurs exercent leur métier de formateur et de chercheur, et produisent une série de textes à objectifs multiples.

8Dans la sphère universitaire, nous proposons de distinguer deux sortes de textes, correspondant à deux types d’objectifs :

  1. Les textes associés à l’apprentissage des disciplines, qui peuvent appartenir à divers genres textuels : résumé, synthèse, réponse à développement, compte rendu, fiche de lecture, etc.;

  2. Les textes à visée de formation professionnelle, produits dans le but d’apprendre un métier autre que le métier de chercheur, et qui font partie des pratiques professionnelles dans des domaines bien précis. Dans ce cas, on peut retrouver des genres comme : rapport de stage ou d’intervention, planification de leçon (pour les étudiants en formation à l’enseignement), journal de bord, etc.

9Dans la sphère académique, les professeurs-chercheurs produisent principalement :

  1. Des textes à visée de diffusion des connaissances développées à travers la recherche : rapport, article scientifique, présentation orale, conférence, article de vulgarisation, etc., destinés à la communauté scientifique, aux milieux professionnels ou au grand public.

  2. Des textes à visée professionnelle, dont le but est soit de rendre possible la réalisation d’une recherche ou la diffusion de ses résultats (projet de recherche à destination d’un organisme financeur, proposition de communication ou d’article), soit d’évaluer la recherche des pairs et de contribuer ainsi au fonctionnement de la vie académique. Ces genres sont demandés aux chercheurs confirmés : évaluation d’article ou de proposition de communication, rapport de thèse, compte rendu ou note de lecture, etc.

10À l’intersection des deux sphères peuvent être situées les productions des étudiants des programmes de formation à la recherche (maîtrise ou doctorat) : l’avant-projet de recherche, le mémoire ou la thèse, dont le but est d’apprendre le métier de chercheur et de se faire reconnaître en tant que tel.

11Les résultats de l’enquête auprès des étudiants
Les étudiants ont rempli un questionnaire semi-ouvert en ligne4, comprenant trois sections principales : les genres de textes rédigés durant les études; le rapport à l’écriture en contexte universitaire et aux genres de textes; les usages des TICs lors de la réalisation des travaux. Nous ne traiterons ici que des éléments saillants des deux premières sections.

12Les informations recueillies ont fait apparaître des similitudes entre les deux contextes et quelques différences.

13Les genres les plus pratiqués dans le parcours scolaire avant l’entrée à l’université ou dans les premières années de formation universitaire sont en partie les mêmes dans les deux contextes : la réponse à une question ouverte dans le cadre d’un examen et le texte argumenté (100 % au Brésil, 93 % au Québec pour les deux genres), le résumé d’un article (88 % Québec) ou d’un livre (98 % Brésil – 82 % Québec) et l’analyse d’un problème (93 % au Brésil et 82 % au Québec).

14En ce qui concerne les genres les moins pratiqués, les réponses sont aussi similaires et elles concernent logiquement les genres liés principalement à la sphère académique : résumé pour une proposition de communication (85 % non pratiqué au Brésil; 72 % au Québec); travail de fin d’études (59 % Brésil; 54 % Québec), article scientifique (49 % Brésil et Québec) et projet de recherche (49 % Brésil et 42 % Québec).

15Des différences culturelles, dues à la tradition scolaire et aux cursus de formation, sont apparues. Par exemple, au Brésil, les étudiants ont été plus nombreux à déclarer pratiquer l’écriture d’un article de presse au secondaire (54 %) et la « resenha » — note critique de lecture. Au Québec, près de la moitié des étudiants ont indiqué avoir déjà produit des schémas ou des cartes conceptuelles (49 %) et interagi par écrit sur des forums de discussion en lien avec des cours, alors que ces pratiques sont quasi inexistantes au Brésil.  

16Selon l’analyse des questions ouvertes, une représentation partagée entre les étudiants brésiliens et canadiens est que dans l’écrit universitaire, il faut savoir « organiser ses idées ». En revanche, on observe plusieurs différences. Au Québec, la norme (écrire sans fautes) est très valorisée, alors qu’au Brésil, ce sont les caractéristiques génériques et du contexte pragmatique (le destinataire et l’objectif) ainsi que de la dimension argumentative qui sont perçues comme les plus importantes. En outre, les modalisations appréciatives (Bronckart, 1997) utilisées témoignent de la dimension affective fortement liée à l’écriture à travers, par exemple, l’usage d’adjectifs mettant en valeur soit la difficulté de la rédaction (tendance majoritaire), soit le plaisir d’écrire (tendance minoritaire).

17Conclusion
Les données rassemblées nous ont permis de mieux connaître le profil des apprenants dans les deux contextes, y compris les aspects liés à leurs cultures d’apprentissage. Elles confirment l’utilité de porter attention aux apprentissages spécifiques à développer à propos de genres peu familiers dans leurs multiples dimensions, y compris dans leur dimension culturelle. Ces informations sont particulièrement importantes pour la prochaine étape du projet consistant en l’élaboration de séquences didactiques à propos des genres les plus fréquents en contexte universitaire et les moins maîtrisés, selon les réponses obtenues dans les questionnaires, comme le résumé, la note de lecture et le compte rendu, ainsi que la rédaction de travaux longs. Ces séquences seront appliquées dans des cours pilotes et, à partir des résultats, nous concevrons un module de formation pour les enseignants universitaires, adapté aux deux contextes de formation et intégré à une plateforme d’autoformation en ligne.

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BIBLIOGRAPHIE

BLASER, C. et M.-C. POLLET, (2010), L’appropriation des écrits universitaires, Diptyque, Namur.

BAZERMAN, C., J. LITTLE, L. BETHEL, T. CHAVKIN, D. FOUQUETTE et J. GARUFIS, (2005), Reference Guide to Writing Across the Curriculum, Parlor Press and The WAC Clearinghouse, West Lafayette.

BRONCKART, J.-P., (1997), Activité langagière, textes et discours. Pour un interactionnisme socio-discursif, Delachaux et Niestlé, Paris.

DELCAMBRE, I., T. DONAHUE, D. LAHANIER-REUTER, (2009). Ruptures et continuités dans l’écriture à l’université, Scripta, v. 13, n. 24, p. 227-244.

DELCAMBRE, I. et D. LAHANIER-REUTER, (2010), Les littéracies universitaires. Influence des disciplines et du niveau d’étude dans les pratiques de l’écrit, Diptyque, 18, p. 11-42.

PEREIRA, L. A et L. GRAÇA, (2014), Concepções sobre a escrita académica de estudantes do ensino superior, Raído, Dourados, MS, v. 8, n. 16, jul./dez.

THAISS, C., G. BRÄUER, P. CARLINO, L. GANOBCSIK-WILLIAMS et A. SINHA, (2012), Writing Programs Worldwide: Profiles of Academic Writing in Many Places, The WAC Clearinghouse, Fort Collins.

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Notes

1 voir : http://letramentoacademico.fflch.usp.br/ et http://www.usherbrooke.ca/centredelangues/espace-etudiant/circe

2 Le projet a bénéficié du soutien financier du ministère des Relations internationales et de la Francophonie du Gouvernement du Québec dans le cadre de la coopération Québec-Sao Paulo (2014-2015) et de l’Agence universitaire de la Francophonie, programme PIRAT (2016-2017). Ce projet réunit des chercheurs de l’U. de Sherbrooke (Olivier Dezutter, Christiane Blaser, Françoise Bleys), de l’USP (Eliane Lousada et Adriana Zavaglia), de l’UNESP (Anise Gonçalves d’Orange Ferreira) et de l’USF (Luzia Bueno).

3 Dans la tradition anglophone, c’est souvent le terme « académique » qui est utilisé, comme l’attestent plusieurs auteurs (Thaiss et al, 2012; Bazerman et al, 2005), même quand il s’agit de textes qui appartiennent, selon notre cadre, à la sphère « universitaire ». Delcambre et Lahanier-Reuter (2010), ainsi que Donahue (2010), en revanche, utilisent le terme « universitaire ». D’autres auteurs utilisent, en contexte lusophone (Pereira et Graça, 2014), le terme « académique », même lorsqu’ils font référence à des auteurs francophones qui utilisent plutôt le terme « universitaire », comme ceux qu’on vient de citer.

4 Le questionnaire a été appliqué au 2e semestre 2014, en portugais à l’Université de São Paulo et en français à l’Université de Sherbrooke.

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Pour citer

Eliane Lousada et Olivier Dezutter, La rédaction de genres universitaires : pratiques et points de vue d’étudiants universitaires au Brésil et au Québec
Le français à l'université , 21-01 | 2016
Mise en ligne le: 14 mars 2016, consulté le: 23 avril 2024

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Auteurs

Eliane Lousada

Département de Lettres Modernes, Faculté de Lettres, Université de São Paulo (Brésil)

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Olivier Dezutter

Département de pédagogie, Faculté d’éducation, Université de Sherbrooke (Canada)

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