Pour un plurilinguisme algérien intégré. Approches critiques et renouvellement épistémique
Référence de l'oeuvre:
Chachou, Ibtissem et Meriem Stambouli (dir.), (2016), Pour un plurilinguisme algérien intégré. Approches critiques et renouvellement épistémique, Riveneuves, Paris, 354 pages.
Texte intégral
1Composé de six parties thématiques, le livre s’ouvre (p. 23-63) sur le regard critique que le professeur Abderrezak Douari, dans « Hétéronomie du champ du savoir ou la politique d’arabisation comme rupture avec la pensée universelle », pose sur la politique d’arabisation dans le système éducatif algérien. L’arabisation est allergique à toute évolution et à toute autonomie de la pensée scientifique. Légitimée par la religion et le nationalisme, elle rejette la modernité occidentale et la vision arabe antique. Le déni de la reconnaissance universitaire des intellectuels, de leurs diplômes ainsi que de leurs parcours professionnels conduit à l’enfermement du savoir étouffé. Cette situation a entraîné des résistances locales, que seuls une concertation nationale et un renouvellement du champ épistémique arabe pourront apaiser.
2La deuxième partie met à l’honneur le plurilinguisme, vu comme une valeur pédagogique à intégrer dans la didactique du français à l’université algérienne. Plusieurs chercheurs mènent la réflexion à ce propos. Dr Nedjma Cherrad, dans « Plurilinguisme et enseignement/apprentissage en cours de licence de français à l’université » (p. 67-89), tente de démontrer que le recours aux langues premières a un impact positif. En effet, les langues sources s’utilisent comme stratégie pour une négociation du sens. Dr Naïma Mati, dans « De la langue privée à la langue de l’autre : l’arabe algérien comme aide à l’appropriation du français » (p. 91-107), considère que la langue privée est une langue secours développant la compétence en langue cible. Dans « projets de formation au plurilinguisme : l’arabe standard et le français, langues transversales à l’université et à l’école » (p. 109-120), Dr Meriem Stambouli révèle que la formation au plurilinguisme est aujourd’hui une ambition de l’élite algérienne (choix parental). Elle propose en ce sens un parcours pluridisciplinaire de LEA (langue étrangère appliquée) pour des besoins de compétitivité et de productivité des apprenants. Nous retenons avec Dr Malika Bensekat, dans « Pluralité linguistique et contexte d’enseignement : quelles perspectives didactiques? » (p. 123-131), qu’une référence à l’environnement socioculturel et aux visions plurielles doit être faite dans les programmes. Dr Nadia Grine, dans « Trace du discours scolaire sur la langue française dans la production des réponses des jeunes Algériens issus de l’école fondamentale » (p. 133-149), présente les représentations et les attitudes ambivalentes vis-à-vis de la langue française chez les jeunes, influencés en cela par le discours idéologique de l’école fondamentale. Le français n’est pas considéré comme une langue du patrimoine linguistique local; simultanément et paradoxalement, il est perçu comme une langue d’ouverture à maintenir en Algérie.
3La troisième partie s’intéresse aux configurations sociolinguistiques de la Corse et de l’Algérie. Pr Mathée Giacomo-Marcellesi, dans « Aspects sociolinguistiques du plurilinguisme en Corse » (p. 153-172), révèle que le corse est une langue polynomique, pour la dissocier des dénominations stigmatisantes de dialecte et pidgin. Le corse est une langue autonome et reconnue, composée d’un ensemble de variétés. Dr Soufiane Lanseur, dans « Vers une nouvelle diglossie : tamazight-kabyle » (p. 173-196), rappelle l’accès de la langue berbère à l’enseignement en 1995. Celle-ci acquiert le statut de langue nationale constitutionnelle en 2002. Nous obtenons une diglossie où deux variétés du berbère, le tamazight et le kabyle, obéissent à une distribution fonctionnelle dans la société. Le tamazight est enseigné désormais pour lui-même et par lui-même, ce qui implique une épuration de la langue de toute trace kabyle. Il devient une langue normalisée destinée aux communications familières par rapport au kabyle, qui est pour les situations informelles.
4Dans la quatrième partie, Dr Abdellaziz Khati (« L’oralité dans les romans algériens de la période coloniale : le cheval de Troie », p. 199-217) parle de la négation de toute assimilation française dans les romans algériens coloniaux. Ces œuvres, au contraire, se caractérisent par une véritable expression identitaire, marquant l’essence de l’algérianité. Dr Jean Max Noyer, avec « Pluralisme linguistique — Sémiotiques — Écritures — Narrations. Propositions épistémologiques » (p. 219-240), mène la réflexion sur la diversité linguistique au sein de nouveaux agencements collectifs d’énonciation et indique certaines voies pour le renouvellement des approches.
5Dans la cinquième partie, Pr Farouk Bouhadiba, dans « La variation lexicale en contexte urbain en Algérie » (p. 243-254), fait une analyse lexicale de l’arabe algérien parlé grâce à un corpus d’interactions verbales spontanées marquant l’identité algérienne contemporaine. Mme Dounia Samai, avec « Choix linguistique et alternance codique dans les conversations électroniques. Quelles langues parlées par les internautes algériens? » (p. 255-272), décrit la communauté internaute algérienne. Celle-ci est instruite et, à travers ses divers écrits en ligne, réalise l’alternance codique en mélangeant les langues pour une meilleure diffusion de ses messages. Fateh Chemerik (« Quels sont les enjeux derrière le recours de la presse francophone algérienne à la darija? Étude de cas : le match Algérie-Égypte », p. 273-295) prouve que la presse algérienne tente de reconquérir son public par de nouvelles pratiques journalistiques en utilisant la darija pour refléter au mieux le lecteur algérien.
6La dernière partie, à titre posthume et en hommage, publie les recherches de Dr. Sarah Leroy (p. 299-314) sous le titre « Microtoponymie urbaine : retour sur une enquête à plusieurs voix ». Son enquête de 2008, dans la ville de Bejaia (Algérie), analyse les noms propres à l’oral (quartier, rue, lieux-dits…). Elle se rend compte alors que sa méthodologie n’obéit pas seulement aux données de l’enquête, mais qu’elle s’inscrit aussi dans un cadre sociolinguistique et identitaire. L’intervention du Dr Ibtissem Chachou, « Quand les enseignes commerciales affichent le marquage des identités linguistico-culturelles : les cas de Mostaganem » (p. 315-332), montre que la ville est le témoin de la diversité linguistique, culturelle et identitaire algérienne à travers les inscriptions sur les enseignes commerciales, qui marquent la présence de plusieurs langues sur le territoire : arabe classique, arabe dialectal, français, italien, espagnol… L’ouvrage se clôt par l’article du Dr Karim Ouaras, « Les graffiti comme champ discursif plurilingue révélateur des dynamiques urbaines : le cas de la ville d’Alger ». Ce dernier révèle combien les graffiti exposent l’histoire et la vie urbaine tout en dénotant la dynamique sociolangagière marquée par un écart entre les langues en présence.
7L’ouvrage, riche d’enseignement sur la littérature, les sciences du langage, la didactique des langues-cultures et les politiques linguistiques, permet au lecteur d’avoir une connaissance approfondie et réelle de l’Algérie, de son système éducatif et de l’état de la recherche. L’effort fourni par les chercheurs universitaires fait de cet ouvrage un dossier sur l’Algérie digne d’intérêt.
Pour citer
Ndèye Maty Paye, Pour un plurilinguisme algérien intégré. Approches critiques et renouvellement épistémique
Le français à l'université , 22-04 | 2017
Mise en ligne le: 30 janvier 2018, consulté le: 15 octobre 2024