Le français à luniversité

La mesure et le grain. Sémantique de corpus

Patrick Chardenet

Référence de l'oeuvre:

Rastier, François, (2011), La mesure et le grain. Sémantique de corpus, coll. « Lettres numériques », Éditions Honoré Champion, Paris, 280 pages.

Texte intégral

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1Les problématiques méthodologiques ont toujours constitué de points de divergence/convergence dans les débats épistémologiques. Elles touchent en général autant à la nature et à la saisie du corpus qu’au choix des outils de traitement des données ou à la posture du chercheur face à son objet (implication vs objectivation). La « mesure » et le « grain » annoncent un questionnement entre deux traditions, celle du traitement quantitatif des corpus (la mesure) et celle de leur traitement qualitatif (le grain). La première étant souvent considérée comme d’origine anglo-saxonne et la seconde plutôt d’origine francophone, tout en sachant ce que cette dichotomie peut avoir de caricatural dans un monde où la production, la diffusion et l’enseignement des savoirs s’internationalisent fortement depuis une trentaine d’années. C’est peut-être ce contexte favorable qui favorise de tels déclenchements de mises au point et de tentatives d’intégration de ces approches longtemps considérées comme opposées et mal compatibles. C’est en tout cas l’ambition d’un projet de reconfiguration épistémologique des Lettres et Sciences humaines et sociales autour de ce que François Rastier nomme les « sciences de la culture »1.

2Étant passé de la traditionnelle sémantique du mot à celle élargie du texte, François Rastier a été confronté à la fois à la dimension des grands corpus avec leur saisie numérique et à l’amplitude des arts et sciences d’un texte qui convoque de nombreuses disciplines pour la description, l’analyse et l’interprétation. Dans cet ouvrage, il associe la sémantique, l’herméneutique et la linguistique de corpus dans ses deux approches, quantitative et qualitative, pour mettre en avant une science sémantique des textes à la fois historique et comparée et une méthode qui articule les notions de document (philologie), de texte (linguistique) et d’œuvre (herméneutique). Renversant la posture saussurienne de centration sur le signe comme unité constitutive, il donne la priorité au texte dont dépendent la phrase et le mot, et au discours, dont dépend le texte en tant qu’unité compréhensive. Pour rendre compte de ces relations, il s’appuie sur des relevés formels en nombre dans l’amplitude des corpus textuels. Alors, l’objectif de la linguistique de grands corpus devient celui de faire émerger par une nouvelle textométrie de nouveaux observables linguistiques, inaccessibles autrement. Le grain, c’est l’interrogation sur la qualité ou la pertinence des données textuelles (nécessairement multi-variées, multi-niveaux, pour une approche compréhensive), au-delà des unités immédiatement visibles (le mot, la phrase). La mesure, c’est le déchiffrement du texte qui montre le fonctionnement de son propre système. Mais « bien entendu la qualité l’emporte sur la quantité, et le “grain” sur la mesure » (p. 52), ce qui s’explique par le fait que « les meilleurs algorithmes ne peuvent apporter quelque secours que si l’on a défini les données initiales de manière critique » (ibid.), et qui est annoncé d’emblée par une épigraphe tirée d’un poème persan du XIIIe siècle : « L’homme intelligent prend le grain du sens, il ne s’arrête pas à la mesure. » (p. 9) Du texte au mot, des textes aux mots, les signes dépendent des intentions de ceux qui les encodent, des conventions partagées entre l’émetteur et le récepteur, et des interprétations que la réception leur fait subir, dans une conception non antinomique de la dualité entre langue et parole (p. 36).

3En 3 parties à la suite d’un avant-propos et d’une introduction, 9 chapitres et 272 pages, cet ouvrage est à la fois très ambitieux sur le plan épistémologique et très technique dans la recherche des instruments qui convergent vers le projet : construire une linguistique, science de la culture. François Rastier nous plonge alors dans la matérialité linguistique de deux façons complémentaires : en produisant des notions opératoires (par exemple, un modèle des données textuelles, p. 53 et l’hétérarchie des composantes textuelles, p. 59) ; et en revisitant d’autres (comme la notion même de modèle, conçu comme schème substrat de l’élaboration conceptuelle en mouvement vs la théorie des modèles pour laquelle le modèle est une structure qui permet d’interpréter tous les éléments du langage sur la base d’un ensemble d’axiomes vrais, p. 65, ou comme le problème de la pertinence, chapitre 8).

4Une référence aux glossaires de sémantique interprétative sur le site de la revue Texto (p. 250) apporte une touche pédagogique pour faciliter l’accès par des étudiants et des chercheurs en marge de ce domaine (http://www.revue-texto.net/1996-2007/Reperes/Reperes.html) et l’on trouvera également de bonnes introductions à ce travail, dans deux autres notes de lecture :

5Damon Mayaffre, « François Rastier ― La mesure et le grain. Sémantique de corpus. Paris : Champion, Collection Lettres numériques, 2011, 280 pages, 55 € », Corpus [En ligne], 10 | 2011, mis en ligne le 08 juin 2012, consulté le 24 décembre 2014. URL : http://corpus.revues.org/2146

6Geneviève Henrot Sostero, (2014), « François Rastier, La mesure et le grain. Sémantique de corpus, Carnets de lecture n. 18, 19, 0, » [En ligne], consulté le 24 novembre, http://farum.it/lectures/ezine_articles.php?lectures=80fa2ac889823c2ac3556dc1cf386662&art_id=253

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Notes

1 Cf. François Rastier (2006), « Sémiotique et sciences de la culture. Une introduction ». [En ligne] http://www.revue-texto.net/1996-2007/Reperes/Reperes.html

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Pour citer

Patrick Chardenet, La mesure et le grain. Sémantique de corpus
Le français à l'université , 19-04 | 2014
Mise en ligne le: 15 décembre 2014, consulté le: 27 avril 2024

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Auteur

Patrick Chardenet

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