Les enseignants débutants
Référence de l'oeuvre:
Rayou, Patrick et Jean-Pierre Véran (dir.), (2017), « Les enseignants débutants », Revue internationale d’éducation, numéro 74, CIEP, Sèvres, 161 pages.
Texte intégral
1La Revue internationale d’éducation présente un dossier consacré aux « Enseignants débutants ». Elle se propose d’y interroger les incertitudes qui assaillent ceux qui embrassent une carrière auréolée jusqu’alors d’un grand prestige. L’ouvrage présente ainsi les traits spécifiques des changements palpables dans la profession : d’abord, la réorientation de la signification des études au sein de la société, puis l’hétérogénéité de plus en plus grande du public scolaire. La question n’est plus tant d’être enseignant que de le rester. Rien d’étonnant alors à ce que le décrochage scolaire trouve un écho dans un décrochage professionnel de plus en plus prégnant. L’ouvrage se propose ainsi de mettre en évidence des variables communes (politiques éducatives, référentiels, accompagnement des enseignants, etc.) entre différents territoires, qu’ils soient florissants ou fragiles économiquement, pour permettre une saisie globale des tendances éducatives à l’échelle du globe. L’ensemble comprend deux parties clairement distinctes : une introduction de 10 pages et un florilège de 9 contributions, accompagnées de références bibliographiques.
2Nous proposons ici d’accompagner la lecture de cet ouvrage en suivant l’ordre établi : l’introduction proprement dite, puis les contributions elles-mêmes.
3L’ouvrage préalablement conçu à travers quatre interrogations fondamentales (l’entrée dans le métier d’enseignant, la formation, la découverte du métier et la vie dans l’établissement scolaire) fait apparaître un faisceau de cinq axes fédérateurs :
— une professionnalisation paradoxale (la complexité des normes éducatives relatives à la formation des enseignants entraîne des inégalités dans le recrutement des établissements. Les enseignants les mieux formés accèdent souvent aux zones éducatives les plus favorisées.);
— une diversification des parcours de formation (la typologie des trajectoires menant à l’enseignement a une influence sur les représentations et les pratiques enseignantes);
— une transition souvent douloureuse entre la transmission initiale des connaissances assumée par les centres de formation et la mobilisation des savoirs par les élèves à laquelle l’enseignant stagiaire doit répondre seul;
— une importance accrue de l’accueil des nouveaux enseignants dans l’établissement (dont la qualité a un impact sur l’adhésion et la poursuite dans le métier d’enseignant);
— une attention particulière à ce qui est souvent considéré comme marginal (les questions de rémunération et les conditions matérielles d’exercice de la profession);
— une interrogation plus large sur la nécessité d’articuler formation initiale et période d’insertion (à laquelle s’associe la nécessité de rendre les modèles d’apprentissage étudiés initialement opératoires et proches des réalités vécues par les enseignants débutants).
4La dernière partie de l’introduction vient poursuivre la réflexion sur les thématiques insuffisamment traitées par les contributeurs. On évoque succinctement la place de l’établissement (notamment sa fonction d’accueil), l’innovation professionnelle des jeunes enseignants, la déontologie (dans sa capacité à structurer et à organiser l’activité enseignante), ou encore la crise de la vocation. Les auteurs concluent en rappelant que les incertitudes liées à l’entrée dans le métier ne démentent en rien les promesses d’une carrière heureuse et riche de son évolution.
5L’introduction emporte sans conteste l’adhésion. C’est à une question déjà largement traitée, celle de l’entrée dans le métier d’enseignant1, que cet ouvrage propose de répondre de façon originale. Il se démarque par une volonté claire de rendre palpables les écarts entre une société de plus en plus exigeante à l’égard des professionnels de l’éducation et le manque d’accompagnement de ses agents. D’une grande clarté, l’introduction invite son lecteur à poser un regard critique sur une question vive : le métier d’enseignant est-il toujours à la hauteur de son image ? On saura aussi gré aux auteurs d’avoir su mettre en perspective différentes cultures éducatives, sans jamais forcer la comparaison, mais en tenant compte d’un équilibre dynamique entre pratiques contextuelles et tendances liées à la mondialisation. À l’inverse, on peut être surpris de la volonté des auteurs d’évoquer pourtant une tension possible entre pratiques mondialisées et contextualisées (p. 37) :
Des tendances communes se dessinent-elles dans une école « mondialisée » ? Si oui, ceci exclut-il que le poids des traditions nationales ou territoriales et des différences de contexte se fasse encore sentir ?
6Il n’est pas sûr d’une part que les contributions soient susceptibles de répondre à cette question (en particulier parce qu’aucune n’envisage une étude comparative entre des territoires différents), et moins encore que la question soit pertinente. Un des intérêts majeurs de cet ouvrage n’est-il pas au contraire d’ouvrir au débat par l’exposé de situations éducatives, dont il revient au lecteur d’apprécier les résonances et les particularismes ? On ne comprend alors guère la réserve formulée par les auteurs (p. 45) :
[…] Toutes ces questions sont ouvertes car la juxtaposition d’études de cas, aussi riches soient-elles, ne permet pas d’y répondre.
7L’intérêt du débat lancé par les auteurs réside peut-être alors moins dans la tentative avortée de rendre une vision claire et précise de l’ensemble des particularités de chaque système éducatif dans les territoires évoqués que dans la proposition, dont nous saluons la grande intelligence, de restituer le divers, qui a désormais toute sa place dans l’école, pour lui faire « prendre les couleurs du monde » (p. 45).
8S’il n’est pas à douter de l’excellence de cette revue, quelques points peuvent néanmoins donner lieu à des suggestions. Les observations se font ici au fil du texte.
9La transition proposée (p. 42) :
Devenir enseignant n’est non pas problématique, c’est le rester qui pose question.
pose avec beaucoup d’intelligence la question de la poursuite de la carrière des enseignants. Contrairement à ce que laissent entendre ici les deux auteurs, l’accès à l’enseignement est déjà en lui-même problématique (que l’on pense aux trajectoires variées évoquées par Girinshuti, p. 79-88). N’aurait-il pas été plus judicieux ici de partir tout de suite de ce double constat selon lequel l’accès et le maintien dans la fonction d’enseignant sont devenus problématiques en soi ?
10On peut aussi s’étonner d’une partie consacrée au seuil de l’ouvrage aux « questions sans réponses » (p. 44). N’aurait-il pas été souhaitable de déplacer le débat à la fin de la revue ? Plus surprenant encore reste le présupposé, sans appui théorique, lequel sauf erreur de notre part ne s’appuie sur aucune contribution, évoqué (p. 44) :
[…] en émettant l’hypothèse que les préoccupations des débutants les incitent à se polariser sur leur capacité individuelle à faire face aux situations rencontrées, avec des stratégies qui ne visent parfois que la façon de faire la classe le lendemain.
11Ce point de vue, tout à fait intéressant par ailleurs, ne nous paraît guère pertinent dans une introduction dont la vocation reste avant tout la présentation des articles et non l’ouverture à d’autres questions qui ne feront l’objet d’aucun traitement dans les propositions qui suivront.
12Enfin, on regrettera que les propositions de références bibliographiques ne fassent pas la part belle à la vie dans l’établissement, alors même que les auteurs l’évoquent longuement à la fin de l’introduction.
13Pour autant, ces suggestions ne remettent nullement en cause l’excellence d’une introduction riche qui invite à poursuivre avec intérêt la suite de l’ouvrage.
14L’ensemble des contributions est d’ailleurs d’une grande richesse, autant par les exemples proposés que par les réflexions théoriques évoquées. Il est à noter cependant qu’une relecture attentive de certaines propositions laisse entendre quelques réserves.
15Kamuzinzi retrace (p. 47-55) l’expérience des enseignants du niveau primaire au Rwanda, dans un système scolaire éducatif traversé par des référentiels de traditions anglo-saxonne et française. Ce manque de précision dans l’introduction obscurcit la problématique pourtant intéressante (p. 50) :
Dans un tel contexte marqué par des référentiels conflictuels, comment s’y prennent les enseignants débutants ?
16Sans avoir clairement attesté l’influence de chaque héritage culturel dans la construction du référentiel, on voit mal comment une réflexion sur son appropriation par les enseignants peut se construire par la suite.
17On émettra aussi quelques regrets au sujet de l’article de Birgin (p. 69-77). La richesse des propos, pourtant tout à fait remarquable (dans la capacité notamment à faire émerger une réflexion sur l’interaction entre les choix d’orientation professionnelle et les propositions de l’institution) est obscurcie par une syntaxe quelquefois inutilement compliquée. On relèvera à seul titre d’exemple (p. 69) :
La formation des professeurs (indissociable de ce niveau) a de nombreuses problématiques (nous soulignons) communes avec l’enseignement supérieur tout en étant un processus particulier, avec ses traditions et ses problématiques (nous soulignons) propres.
18La répétition du mot problématique ne nous paraît pas se justifier ici, sauf à étendre sa définition à celle de difficultés. Le contexte immédiat ne permet pas ici de trancher.
19Enfin, la proposition de Bakingué (p. 89-95) nous semble aborder davantage les défaillances de l’encadrement professionnel du système éducatif nigérien que les mesures prises pour assurer un accompagnement réellement opérant, comme le laissait entendre pourtant le début de l’article.
20Ces quelques remarques ne remettent cependant absolument pas en cause l’intelligence des réflexions proposées par ces auteurs ni la grande rigueur dont font preuve les autres contributeurs. L’ensemble de ce dossier, particulièrement convaincant par sa clarté et sa grande intelligence, apporte des éclairages tout à fait cruciaux sur les défis que l’école à l’échelle du monde se doit de relever.
Notes
1 Les recommandations bibliographiques fort pertinentes de Bernadette Plumette (p. 139-150) invitent à ne pas surcharger le compte rendu d’autres propositions d’ouvrages.
Haut de pagePour citer
Olivier-Serge Candau, Les enseignants débutants
Le français à l'université , 22-04 | 2017
Mise en ligne le: 06 décembre 2017, consulté le: 15 octobre 2024