Le français à luniversité

S’entendre entre langues voisines : vers l’intercompréhension

Danièle Moore

Référence de l'oeuvre:

Conti, Virginie et François Grin (dir.), (2008), Sentendre entre langues voisines : vers lintercompréhension, Georg éditeur, Chêne-Bourg (Suisse), 407 pages.

Texte intégral

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1Issu d’un séminaire organisé en 2006 à Genève sous l’égide des quatre conseils de la Francophonie du nord, cet ouvrage dirigé par Virginie Conti et François Grin offre, grâce aux contributions d’un panel de 18 spécialistes européens et latino-américains, un panorama aussi complet qu’original de la question de l’intercompréhension des langues voisines.

2Construit en trois temps, l’ouvrage inclut 14 chapitres qui inscrivent d’entrée de jeu des réflexions au sein d’une éducation plurilingue, favorisant le décloisonnement des apprentissages linguistiques et la mise en valeur de compétences relatives, partielles, possiblement approximatives, pour encourager le développement transversal de compétences plurilingues.

3Les trois premiers chapitres posent le cadre historique, politique et idéologique de l’intercompréhension dans une première partie intitulée « Intercompréhension et société » (p. 31-109). On y rappelle, par exemple, que l’allégeance à une langue et à une nation est un phénomène moderne qui ne reflète en rien les conceptions anciennes de la parenté des langues, construites sur la réalité du vécu des voyageurs habitués à traverser un vaste continuum polyglossique de langues apparentées. La question de l’intercompréhension, qui relève à la fois de l’approche naturelle et de la révolution idéologique et didactique, se déploie au sein d’une politique européenne et francophone du plurilinguisme, dont François Grin démonte les mécanismes. Il analyse le potentiel de cette politique en en examinant les coûts et l’efficience, l’équité et la justice.

4Cinq textes forment la deuxième partie, intitulée « L’intercompréhension face aux disciplines du langage » (p. 111-226). On discute ici différents modèles de communication, en relation avec les questions de l’intercompréhension et des notions produites par les sciences du langage, particulièrement la didactique. Dans les travaux présentés, la problématique des représentations sociales et de leur rôle dans l’inhibition ou la promotion d’approches intercompréhensives n’est pas éludée : l’idée de pureté et de territorialisation des langues, les représentations de la norme, les notions de code partagé et de maîtrise linguistique, l’exclusion de l’hétérogène et de l’hybride, la difficulté à concevoir le territoire national comme un espace plurilingue sont autant de freins historico-idéologiques à l’action linguistique et au décloisonnement curriculaire.

5Enfin, la troisième partie, « Développement et enseignement de l’intercompréhension » (p. 227-370), rassemble six textes qui proposent et discutent différents parcours didactiques innovants pour favoriser l’intercompréhension et le développement plurilingue. L’intégration de l’intercompréhension dans les cursus éducatifs témoigne d’un déplacement de paradigme important : on revisite les conceptions de la langue, du système, de la compétence, du rôle du français comme langue pivot dans les apprentissages intercompréhensifs, tout en donnant de nouveaux repères d’éthique sociale visant à faire respecter, à faire comprendre et à faire valoriser la diversité linguistique et culturelle.

6Ce bref survol ne saurait rendre compte de la richesse de cet ouvrage très bien documenté, clairement écrit et accessible, qui apporte une contribution de premier plan à la recherche et à la réflexion sur l’intercompréhension. L’originalité majeure de l’ensemble réside dans sa pertinence formative, dans le renouvellement épistémologique profond qu’il suggère quant aux questions de plurilinguisme et d’intercompréhension, et dans la triple perspective (linguistique, didactique et de politique linguistique) du regard qu’il porte sur les enjeux de l’intercompréhension.

7Enfin, le lecteur appréciera les index linguistiques de matières et d’auteurs, ainsi que les résumés en français et dans un éventail de langues romanes courantes et moins fréquentes. C’est une denrée rare, en particulier dans les ouvrages scientifiques comme celui-ci. On trouvera des résumés en espagnol, en italien et en portugais, ainsi qu’en galicien, en catalan, en franco-provençal du Val d’Aoste, en sursilvan et en vallader (deux langues romanches parlées dans les Grisons suisses et dans le nord de l’Italie), en frioulan et en roumain. Cela nous pousse à élargir nos répertoires réceptifs et à construire, dans l’ici et maintenant, des lignes de passage entre les langues, lignes qui, justement, nous permettront de mieux « nous entendre ».

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Pour citer

Danièle Moore, S’entendre entre langues voisines : vers l’intercompréhension
Le français à l'université , 14-01 | 2009
Mise en ligne le: 30 janvier 2012, consulté le: 25 avril 2024

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Auteur

Danièle Moore

Université Simon Fraser (Canada)

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