Chercheur(e)s et écritures qualitatives de la recherche
Référence de l'oeuvre:
Castellotti, Véronique et Elatiana Razafimandimbimanana, (2014), Chercheur(e)s et écritures qualitatives de la recherche, coll. « Proximités », E.M.E. & InterCommunications, Fernelmont, 314 pages.
Texte intégral
1L’ouvrage propose un dossier thématique intitulé Chercheur-e-s et écritures qualitatives de la recherche réunissant 11 contributions aussi bien de jeunes chercheurs que de chercheurs confirmés, qui amènent le lecteur à « s’aventurer dans les méandres de leurs propres rapports à l’écriture de la recherche » (p. 5). Le premier article, qui sert d’introduction à l’ouvrage, est coécrit par Véronique Castellotti et Eliatiana Razafimandimbimanana, toutes deux membres de l’équipe PREFIics-DYNADIV de l’université François-Rabelais de Tours, en France. Cette longue introduction de 22 pages (p. 7-28) a pour titre « Comment l’écriture fabrique la recherche... et inversement ». Les auteures de ces lignes s’intéressent à l’écriture en tant que processus. Leurs propos en témoignent : « Nous avons donc souhaité mettre en perspective les façons dont différents chercheurs se saisissent de l’écriture pour penser, produire, fabriquer, faire de la recherche, être chercheur, etc., et, inversement, comment l’écriture contribue à les instituer comme chercheurs » (p. 7-8). La quatrième de couverture vient confirmer les écrits des chercheures. On lit : « Cet ouvrage s’intéresse aux rôles de l’écriture en tant que processus constitutif d’un autre processus : celui de la recherche interprétative, qualitative et critique et des formes que peut prendre l’implication des chercheur(e)s dans ces processus infiniment emboîtés. [...] Il donne aussi à voir en quoi l’écriture (in)visibilise les sensibilités épistémologiques de chacun. »
2Les objectifs de cet ouvrage ainsi présentés, chacun des contributeurs fait l’objet d’une description précise de sa pratique d’écriture. Ainsi, pour Philippe Blanchet, chercheur chevronné, spécialiste de la sociolinguistique et de la sociodidactique, dans sa pratique personnelle de l’écriture, déploie [toujours et] progressivement une stratégie glottopolitique (théorie qu’il a contribué à élaborer et à diffuser par la recherche et l’enseignement avec Thierry Bulot, à la suite des bases posées par Marcellesi et Guespin dans les années 1980 [cité par Blanchet, p. 31]) d’écriture plurielle, tout en essayant d’utiliser un répertoire plurilingue. Sa contribution intitulée « Normes et variations : comment écrire en tant que chercheur cohérent avec ses convictions scientifiques et éthiques » (p. 29-46) situe l’écriture scientifique dans le choix de ses sujets et du contexte de leur publication. Blanchet propose au lecteur la reconnaissance de la variation des langues; ce qui lui permet de « déployer progressivement une stratégie glottopolitique d’écriture plurielle » (p. 32) en « utilisant un répertoire plurilingue » (p. 34). Les exemples et les anecdotes mobilisés dans sa contribution, selon lui, permettront aux étudiants et aux futurs enseignants en didactique des langues :
« — à court terme, [de] préparer les apprenants à s’adapter aux exigences du système dominant,
— à moyen terme, [de] mettre le système en mouvement en y introduisant des changements de l’intérieur,
— à long terme, [de] combattre le système lui-même et [d’]en éliminer ces exigences d’exclusion de la pluralité pour les remplacer par des exigences d’acceptation de la pluralité » (p. 33).
3Quant à Didier de Robillard, dans son article « À partir de quelques notes de lecture critique à propos de l’écriture-lecture dans les sciences humaines » (p. 249-307), ce dernier présente comment la dimension sociolinguistique du travail de recherche peut, de manière médiate, influencer la vie des gens (p. 249). Ses exemples sont tirés des textes issus de l’anthropologie, de la littérature, de l’autofiction et de l’autobiographie. On retient chez l’auteur que l’histoire des sciences a fait que, alors que les sciences humaines se sont approprié la conception linguistique du sens, fondé sur des signes uniquement, d’autres formes de conceptualisation du sens ont continué à se conceptualiser ailleurs, notamment en philosophie, et tout particulièrement dans les courants phénoménologiques et herméneutiques (p. 290).
4Toute cette méthode d’écriture utilisée par l’ensemble des contributeurs amène Eliatiana Razafimandimbimanana à parler de « l’écriture comme une fabrique scientifique » (p. 47-85), c’est-à-dire « envisagée comme le lieu d’une tension permanente entre, d’une part, des expériences sociales (en cours, en mémoire, en projet, en discours et en image...) de l’écriture scientifique et, d’autre part, l’institutionnalisation de celle-ci. Ce qui revient à adopter une conception socialement instable et interprétative du sens » (p. 47). Pour E. Razafi, le chercheur fabrique, au sens de « fait avec », et ce, à partir de ce dont il dispose. Il fabrique aussi au sens de « façonne » en fonction de ses motivations, intentionnalités, projets (p. 65). Pour mener à bien ce travail d’écriture comme fabrique scientifique, l’auteure propose aux étudiants et aux futurs chercheurs une formation à l’écriture scientifique tout en se servant également des guides destinés à l’écriture et à la rédaction des mémoires et des thèses.
5C’est ce qu’ont fait de jeunes chercheures comme Marie-Laure Tending, Elen Jezequel et Aude Etrillard dans leur pratique sur la méthodologie d’écriture en recherche doctorale. Si la première s’interroge sur la présence du chercheur dans son écriture en hésitant entre le choix du « nous » académique au « je » du chercheur (p. 103-123), la seconde a trouvé « sa voix » (p. 125-143), c’est-à-dire sa manière d’écrire en tant qu’enseignante-actrice sur l’analyse d’un terrain dans une commune multilingue de l’Ouest guyanais, où le français est la langue d’enseignement. Autrement dit, « le chercheur a d’abord été “acteur” sur un terrain où il exerçait — et où, dans certains cas, il exerce toujours une fonction » (p. 126); toute chose qui lui a permis de trouver le chemin à suivre pour faire état de ses recherches. Enfin, pour la dernière, ce sont les « écrits de recherche et socialisation professionnelle en doctorat » (p. 201-225) tels que les communications en colloque ou séminaire, la rédaction de contributions et la thèse en sciences sociales qui lui ont valu sa façon de travailler son « répertoire langagier », d’approcher le « registre approprié » et surtout de façonner les formats et structures de ses textes.
6Du point de vue de l’ensemble des contributions, nous retenons que l’originalité de l’ouvrage réside dans la démarche même des auteurs, qui est cohérente et structurée. La question de l’écriture dans les sciences humaines est un thème par ailleurs assez largement débattu, que le présent ouvrage n’épuisera donc pas. En le parcourant, le lecteur pourra comprendre, et surtout apprendre, comment les chercheurs s’autorisent et sont autorisés à écrire, malgré leurs convictions pour la recherche scientifique. La démarche des auteurs et la richesse de leurs expériences méritent d’être saluées. Par la pluralité des réflexions, et des méthodes d’analyses envisagées, ce livre semble détenir la clef de la définition quant à ce que serait, par exemple, une « écriture scientifique, qualitative de la recherche ». Mais comme le soulignent les auteures de cet ouvrage elles-mêmes, « il s’avère qu’une piste n’a pas été explorée par les contributeurs au présent ouvrage : celle des frontières entre l’innovation, l’inspiration, l’originalité, l’emprunt et le plagiat, voire l’auto-plagiat » (p. 19-20). Malgré cet aspect, la plupart des contributions suggèrent de multiples pistes d’investigation dans la quête d’une écriture qualitative de la recherche.
Pour citer
Jean-Baptiste Atsé N’Cho, Chercheur(e)s et écritures qualitatives de la recherche
Le français à l'université , 20-03 | 2015
Mise en ligne le: 21 août 2015, consulté le: 15 octobre 2024