Le français à luniversité

LASCOLAF et ELAN-Afrique : d’une enquête sur les langues de scolarisation en Afrique francophone à des plans d’action nationaux

Bruno Maurer

Texte intégral

1À l’origine du projet LASCOLAF1, qui trouve aujourd’hui une traduction opérationnelle dans le projet ELAN-Afrique2, il y a la volonté de mieux connaître la diversité des expériences d’utilisation des langues africaines dans les systèmes éducatifs francophones de l’Afrique subsaharienne. La plupart de ces pays ont en commun d’avoir hérité, en même temps que d’un français langue officielle, d’un français langue de scolarisation et langue d’enseignement. Cependant, cette évidence historique ne doit pas occulter le fait que les langues africaines sont ou ont été utilisées dans la scolarisation et qu’il y a matière à tirer des enseignements de ces expériences parfois déjà anciennes.

2Pourquoi la question serait-elle plus d’actualité en 2011 qu’en 1970 ou en 1980 ? C’est que, depuis la conférence de Jomtien, au début des années 1990, le contexte éducatif a considérablement changé. Différents pays se sont engagés à aller vers la scolarisation universelle, mais l’horizon de cette dernière ne cesse de reculer (elle devait être réalisée en 2000, puis en 2015, et on sait déjà que, cette année-là, de nouvelles dispositions devront être prises). Cela conduit les États africains à se doter d’un appareil de scolarisation de masse. Évidemment, celui-ci doit s’accompagner d’évolutions qualitatives, sous peine de mettre en péril des systèmes parfois fragiles.

3Sous l’angle purement linguistique, sans entrer dans les questions financières et matérielles, les deux défis principaux tiennent à la nécessité de recruter toujours plus de maîtres de l’enseignement fondamental et d’amener des élèves non scolarisés, issus de populations traditionnellement en dehors de l’école, vers cette institution. Dans les deux cas se pose la question du rapport au français de ces nouvelles populations de maîtres et d’élèves : le niveau de maîtrise du français chez les nouveaux enseignants, souvent moins qualifiés que leurs aînés, sera-t-il suffisant pour garantir un enseignement de qualité ? Pour les nouveaux élèves, qui viennent souvent de milieux ruraux, le français n’est-il pas une langue trop éloignée de leur univers quotidien ? Leur scolarisation en français ne sera-t-elle pas plus difficile que pour les gens des générations précédentes, qui étaient moins nombreux et qui connaissaient mieux cette langue ?

4La question de la présence des langues africaines, qui pourraient être des vecteurs plus performants des apprentissages fondamentaux, est posée avec moins de parti pris idéologique nationaliste qu’au lendemain des indépendances, avec également la volonté pragmatique d’améliorer le rendement des systèmes éducatifs, et même, au final, avec l’objectif d’une maîtrise accrue du français après le passage par unde la langue maternelle et des compétences de base de l’école (lecture, écriture).

Le projet LASCOLAF

5Ce sont en tout cas les premiers enseignements qui ressortent d’une étude qui a été menée sur six pays (Bénin, Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Niger, Sénégal) et qui a réuni quatre institutions : l’Agence française de développement (AFD), l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), le ministère français des Affaires étrangères et européennes (MAEE) et l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Cette mise en commun des moyens et des problématiques marque fortement l’engagement des agences francophones (bilatérales françaises et multilatérales) en faveur d’une francophonie ouverte qui accorde toute leur place à des langues africaines trop souvent dites partenaires sans que cette dénomination s’accompagne d’actes. En comparant différentes monographies-pays, l’étude LASCOLAF vise à mettre en avant la variété des modes possibles d’utilisation des langues africaines, mais aussi à repérer des modes opératoires ayant donné des résultats positifs et susceptibles d’être utilisés dans d’autres pays.

Les principaux enseignements

6Il serait trop long de reprendre ici par le menu l’ensemble des points mis en évidence ; pour cela, on se reportera au rapport de synthèse du projet3. Toutefois, les documents produits dans les six équipes-pays, extrêmement riches et construits sur un canevas commun, ont permis l’établissement de comparaisons mettant en évidence quelques faits saillants.

  • La question de l’enseignement des langues commence à se poser de manière dépassionnée ; si les parents sont souvent méfiants, c’est parce qu’ils sont des utilisateurs rationnels qui veulent voir des résultats probants avant d’accepter d’inscrire leurs enfants dans des écoles faisant une place aux langues africaines. Là où l’expérience fonctionne, la demande existe et est même supérieure à l’offre en langues nationales.

  • L’utilisation des langues nationales n’est pas une solution miracle ; il s’agit d’une nouvelle manière de poser le problème de l’accès aux savoirs par l’école, mais elle ne résout rien en elle-même. Elle doit s’accompagner d’une réflexion nouvelle sur la didactique des langues africaines en tant que langues premières, sur la manière dont les apprentissages dans ces langues peuvent être mis à profit au moment du passage au français ; elle doit aussi bénéficier des conditions matérielles requises pour la réussite de toute éducation (formation des enseignants, présence d’outils didactiques appropriés).

  • Il existe un éventail très large de modes d’utilisation des langues nationales, des usages les plus pléniers (langue d’enseignement unique pendant plusieurs années du primaire) aux plus légers (langue étudiée comme matière) ; il faut sortir de la problématique du tout ou rien et du débat opposant les langues nationales au français. Les expériences les plus réussies attestent que les performances en français peuvent être supérieures dans un système bilingue se caractérisant par une scolarisation raccourcie d’un an, ce qui représente un gain sur le plan économique.

  • Les démarches les plus participatives sont intéressantes, en particulier celles qui associent les communautés de parents au choix des langues d’enseignement. Quant aux modèles descendants, ils ont toutes les chances d’être rejetés. Les États sont, comme les parents, des acteurs rationnels ; avant de prendre les premières mesures, ils ont besoin d’être convaincus qu’ils ne s’engagent pas dans des réformes aventureuses. En ce sens, les modes qui aujourd’hui donnent les meilleurs résultats (au Burkina Faso ou au Niger, par exemple) sont issus d’expériences réussies qui ont été menées par des organisations de la société civile et qui ont ensuite été intégrées par les ministères en vue d’une extension. Cette politique de petits pas, prudente et raisonnée, donne de meilleurs résultats que les schémas étatiques trop impositifs. Cela dit, la question du changement d’échelle (du processus expérimental à la généralisation) reste posée, aucun des pays de l’étude n’ayant dépassé les 20 % de sa population scolaire scolarisée en langues nationales (Mali).

  • Parmi les modèles de bilinguisme, il faut préférer ceux qui n’utilisent pas trop précocement le français comme langue d’enseignement et ceux qui maintiennent un usage scolaire parallèle de la L1 tout au long de l’éducation fondamentale (modèles dit additifs).

L’initiative ELAN-Afrique

7Les quatre institutions qui ont initié le projet LASCOLAF sont disposées à accompagner les six pays de l’étude, rejoints par la République démocratique du Congo, dans leur utilisation des langues africaines au sein des systèmes éducatifs nationaux. C’est l’initiative ELAN-Afrique qui débute en 2011. Il ne s’agit pas d’un projet unique qui déclinerait des volets d’action identiques dans les différents pays. Afin de prendre en compte la diversité des situations, on envisage de mener un ensemble de missions d’instruction dans les pays ayant fait la démarche d’une adhésion formelle à l’initiative.

8Ces missions d’instruction permettront d’affiner le plan d’action des pays partenaires en l’adaptant aux contraintes budgétaires et de préciser les modalités opérationnelles en vue de consolider le plan global ELAN-Afrique, qui sera présenté aux instances de décision des bailleurs concernés à la mi 2011.

9Ainsi, conformément à ses priorités, selon son rythme et dans le cadre de son plan sectoriel d’éducation, chaque pays pourra bénéficier d’une aide (moyens et expertise) pour aller dans la direction d’un bilinguisme scolaire qui peut prendre une multiplicité de formes, bien documentées par l’étude LASCOLAF.

10L’initiative ELAN-Afrique mobilisera, outre les huit experts de son comité scientifique international, un vivier d’experts qui a été constitué à la suite d’un appel à manifestation d’intérêt. Elle pourrait marquer une étape importante dans les politiques éducatives francophones.

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Notes

1 Acronyme de « Langues de scolarisation dans l'enseignement fondamental en Afrique subsaharienne francophone ».

2 Acronyme de « École et langues nationales en Afrique ».

3 Bruno MAURER (2011), Les langues de scolarisation en Afrique francophone. Enjeux et repères pour l’action. Rapport général du projet LASCOLAF. Paris, AFD-AUF-MAEE-OIF/Éditions des archives contemporaines. Offert en téléchargement sur le sitehttp://www.bibliotheque.auf.org/index.php?lvl=notice_display&id=431.

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Pour citer

Bruno Maurer, LASCOLAF et ELAN-Afrique : d’une enquête sur les langues de scolarisation en Afrique francophone à des plans d’action nationaux
Le français à l'université , 16-01 | 2011
Mise en ligne le: 30 août 2011, consulté le: 26 avril 2024

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Auteur

Bruno Maurer

Université Paul-Valéry Montpellier 3 (France)

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