Le français à luniversité

L’environnement professionnel et la formation médicale au Laos : une situation de plurilinguisme

Soulisack Luanglad

Texte intégral

1Le contexte du plurilinguisme au Laos
Le Laos actuel se situe au cœur de la péninsule indochinoise. Avant la création des frontières actuelles par la colonisation française (1893-1954), il y avait des mouvements de circulation et d’installations des groupes ethniques au sein du Laos actuel et des pays actuellement voisins. Ce territoire était une destination importante pour les ethnies qui s’y réfugiaient pour des raisons de création d’États nations, de guerres, de recherche de ressources naturelles, etc. Ce contexte spécifique est une des raisons qui explique la variété multilingue et multiculturelle du Laos actuel, qui comprend officiellement 49 ethnies et 35 langues parlées par 7 millions d’habitants, le lao étant la langue nationale.

2La connaissance et l’utilisation des langues
La situation géographique et historique du Laos favorise le contact des Laotiens avec les autres peuples : comme il est entouré par de grands pays économiquement plus développés, pour communiquer avec les peuples voisins, les Laotiens doivent connaître leurs langues officielles (le thaï par exemple, ou l’anglais pour l’Australie). Les évènements historiques forment aussi un point important qui a entraîné la maîtrise de langues étrangères dans ce pays au fil des années. Comme le Laos a été colonisé par la France pendant 61 ans, il a été aussi sous l’influence des États-Unis pendant 30 ans et de l’URSS pendant 20 ans. Les langues de ces pays ou de pays voisins (y compris les langues ethniques, qui sont par nature transfrontalières) ont influencé les Laotiens dans l’enseignement des établissements scolaires, par l’échange socioéconomique et par leur utilisation au travail, dans la formation professionnelle et dans la vie quotidienne.  

3À présent, la maîtrise d’au moins une langue étrangère est indispensable dans la formation professionnelle en général, et médicale en particulier, pour la réussite d’une carrière médicale au Laos. L’acquisition d’une langue étrangère de statut international comme le français ou l’anglais s’impose comme une part importante des compétences professionnelles à acquérir, l’idéal étant d’en posséder plusieurs.   

4Nous nous sommes demandé dans notre recherche : quelles sont les langues qui interviennent au Laos dans la formation et l’exercice de la médecine? Cette question a donné lieu à une enquête par entretiens, auprès de personnel médical français et laotien.

5L’utilisation de la langue nationale
Depuis la création de la République démocratique populaire lao en 1975, la politique linguistique du pays vise à encourager les intellectuels à employer le lao tout en informant les individus sur les langues étrangères. Ainsi, ils doivent, d’une part, les considérer comme utiles pour aborder les savoirs scientifiques et, d’autre part, pour communiquer avec le monde extérieur. Mais le lao demeure la langue officiellement employée dans le pays, comme le stipulait l’ancien président Kaysone Phomvihan :
« Avant tout, la recherche scientifique doit porter sur la littérature, l’histoire, la géographie et la linguistique pour former la conscience unanime de la nation chez les cadres et chez le peuple, afin qu’ils puissent produire et améliorer la langue lao pour qu’elle devienne une véritable langue officielle, tout en respectant les langues parlées existantes des ethnies. »

6Notons que, si on parle 35 langues officiellement reconnues au Laos, en ce qui concerne l’écriture, le lao est la seule forme reconnue. Ainsi, nous constatons que les écritures de certaines langues minoritaires, quand elles existent, sont menacées de disparition, car elles sont négligées par l’Éducation nationale. Aujourd’hui, nous trouvons difficilement des gens de groupes ethniques autres que le groupe lao capables de lire et d’écrire dans leur langue maternelle (akha, hmong, lü, khmou), à l’exception de certaines personnes âgées.

7Pourtant, à travers les informations sur leur utilisation de la langue officielle par nos enquêtés (les étudiants en médecine, les médecins laotiens et les médecins français en mission au Laos), nous constatons que non seulement des étrangers éprouvent des difficultés à communiquer dans cette langue, mais aussi que certains Laotiens de groupes minoritaires rencontrent le même problème. Le lao n’est donc pas, de fait, la seule langue utilisée dans la communication médicale au Laos.

8L’utilisation des langues ethniques
En tenant compte des langues et des groupes minoritaires, le Laos forme un schéma complexe. En effet, selon les chiffres de différents chercheurs laotiens et étrangers, ce pays possède entre 68 (chiffre non officiel) et 130 ethnies, sous-ethnies et de nombreux clans. Le Laos est le pays le moins peuplé de la région, mais il compte plus de minorités que n’importe lequel de ses voisins, ce qui en fait le pays le plus hétérogène de tout le Sud-Est asiatique. En effet, environ 40 % de la population lao vient d’ethnies minoritaires d’origine montagnarde : les Hong et les Khmou y représentent les groupes les plus importants.

9Nos interlocuteurs venant de groupes ethniques déclarent qu’ils utilisent leurs langues avec les patients de même origine pour une bonne compréhension. Dans les hôpitaux au Laos, nous trouvons fréquemment des personnes d’ethnies qui ne parlent que leur langue maternelle. Pour assurer une communication avec les patients et leurs familles, les médecins et les étudiants appartenant à différents groupes ethniques sont alors sollicités pour assurer la communication ou la traduction : ce sont en quelque sorte des médiateurs.  

10Les informations données par les médecins laotiens et étrangers confirment que, dans les hôpitaux publics, le français est une langue de travail, c’est-à-dire que les renseignements et les bilans sont en majorité véhiculés en français — entre autres le vocabulaire médical français y a été adopté. Actuellement, au Laos, l’enseignement-apprentissage des langues étrangères devient l’une des orientations les plus importantes dans la politique du pays, au vu du nombre de projets de coopération avec la France et d’autres pays francophones. Par exemple, le service de coopération et d’action culturelle de l’ambassade de France, le bureau de l’AUF, l’OIF, les ONG françaises et celles des pays francophones organisent des formations, des conférences non seulement pour l’enseignement du français, mais aussi dans divers autres domaines (environnement, droit, santé, finances, gestion, informatique, etc.). En ce qui concerne les études à l’étranger, chaque année, le gouvernement français accorde des bourses d’études à des étudiants et à des fonctionnaires laotiens qui souhaitent poursuivre leurs études supérieures en France, dans des établissements d’enseignement supérieur. Les projets de coopération participent activement aux formations de ressources humaines en envoyant les techniciens laotiens en France pour des formations spécifiques ou pour des stages pratiques, etc.   

11Les institutions médicales laotiennes sont des endroits de coopération technique, de formation sur place et d’action humanitaire. Au Laos, l’environnement francophone est ainsi très diversifié. Et, surtout, certains instituts du domaine médical sont très francophones, comme l’Institut francophone pour la médecine tropicale (IFMT), le Centre d’infectiologie Christophe Mérieux, l’Institut Louis Pasteur, des ONG françaises et des pays francophones (Belgique, Suisse, Canada, Luxembourg).  

12Le point de vue sur l’utilisation du vocabulaire français
Grâce aux résultats de notre recherche1, nous voyons que l’insertion du vocabulaire français dans la langue lao dans le domaine médical s’explique par différents objectifs : garder le secret médical, faciliter la conversation liée aux techniques, faciliter la formation par des médecins francophones, par habitude, et aussi, implicitement, entretenir un certain statut social.

13Les locuteurs laotiens de la santé disent aussi qu’ils mélangent souvent le vocabulaire français et laotien pour discuter du travail, car ils constatent un manque de vocabulaire scientifique en langue lao. Ils disent faire cela pour éviter les paraphrases, économiser le temps et faciliter la compréhension. Les professeurs à l’université disent, pour leur part, utiliser le lexique scientifique français pendant les séances de cours à l’université, dans les documents écrits et pour les explications orales : premièrement, quand ils ne trouvent pas l’équivalent en lao; deuxièmement, pour enrichir le vocabulaire scientifique français des étudiants afin qu’ils puissent travailler ensuite de façon autonome à la bibliothèque2 ou lors de stages à l’étranger.   

14Conclusion
Nous souhaitons que l’apport du travail de recherche que nous avons mené soit une des pistes de réflexion pour mieux comprendre le contexte linguistique dans le domaine médical au Laos et pour redonner du sens aux savoirs enseignés en langue étrangère. Pour que la formation soit efficace et réussie, il est fondamental que les enseignants aient une bonne maîtrise de la langue cible et aussi une connaissance solide du contexte et de la culture (ou des cultures) du public cible. Nous souhaitons également que les résultats obtenus au cours de cette recherche soient utiles de façon directe ou indirecte à la formation du personnel de santé au Laos et, de façon réciproque, à la formation des intervenants francophones au Laos. Nous sommes certains que le soutien financier et technique est insuffisant pour résoudre les problèmes de santé, si on ne prend pas en compte le contexte et la dimension culturelle — dimension essentielle qui est un autre volet de notre recherche.

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BIBLIOGRAPHIE

BLANCHET, P. et P. CHARDENET, (2011), Guide pour la recherche en didactique des langues et des cultures, AUF,Édition des archives contemporaines, 2011.

BOASE, B., (1997), Working with your lao partner, UNDP.

DABÈNE, M. et M. RISPAIL, (2008), La sociodidactique : naissance et développement d’un courant au sein de la didactique du français en France, AIRDF, n° 42, p. 10-12.

MARTINEZ, P., D. MOORE et V. SPAËTH, (2008), Plurilinguisme et enseignement, identité en construction, Riveneuve éditions.

RISPAIL, M., (2012), La sociodidactique au service des langues minorées : exemples de recherches dans l’aire francique, Réflexions sociodidactiques, dans Esquisse pour une école plurilingue, L’Harmattan, p. 21-50.

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Notes

1  Cf. notre thèse soutenue à Saint-Étienne en 2015, https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01192961

2  Car 90 % des documents à la bibliothèque de l’université sont en français ou en anglais.    

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Pour citer

Soulisack Luanglad, L’environnement professionnel et la formation médicale au Laos : une situation de plurilinguisme
Le français à l'université , 22-02 | 2017
Mise en ligne le: 13 juin 2017, consulté le: 23 avril 2024

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Auteur

Soulisack Luanglad

Faculté des Sciences de base, USS-Laos

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