Le français à luniversité

Réflexions sur la malgachisation

Dominique Tiana Razafindratsimba

Texte intégral

1Pour analyser la malgachisation, il faudrait la situer dans le contexte historique, politique et social dans lequel le terme est utilisé. La malgachisation était une politique linguistique et éducative prenant la forme d’un ensemble de dispositions politiques et culturelles destinées à promouvoir la langue et l’identité malgaches dans les années 70. S’inscrivant dans les aspirations majeures des lendemains des indépendances, cette politique se présente comme une réponse — que l’on supposait — appropriée aux nombreuses questions imposées par la (re)naissance d’une société qui voudrait (re)prendre en mains son destin. Sa philosophie est, dans ce sens, claire puisque « malgachiser signifie harmoniser le contenu des méthodes d’enseignement avec les impératifs de la Révolution, c’est-à-dire l’édification d’un État socialiste et véritablement malgache », selon le Livre rouge, Charte de la révolution socialiste malagasy, publié par Didier Ratsiraka, en 1975, devenu lui-même président de la jeune république malgache.

2La malgachisation se traduisait, dans le système éducatif, par l’adoption du malgache comme langue d’enseignement au primaire et de la langue française comme langue étrangère, ainsi que par un programme adapté aux réalités locales. Il s’agissait alors, de manière pratique, de substituer un médium et un contenu français de l’école coloniale française par une langue et un contenu d’enseignement malgaches pour une nouvelle école malgache, démocratique et socialiste. Textuellement, malgachiser signifie, en effet, rendre malgache ce qui ne l’est pas.

3Il est sans doute, dans ce sens, inutile de revenir sur, d’une part, la légitimité de cette politique — fruit, certes, d’une certaine passion néanmoins besoin vital d’un retour aux sources — et, d’autre part, sur la nécessité de réfléchir et de mettre en œuvre des mesures et des dispositifs d’accompagnement d’un tel projet de société dans un pays où moyens, matériel et infrastructures font défaut. Il est, par contre, intéressant de voir son impact et de se poser la question de ce qu’il en est actuellement. Échec de la politique de malgachisation, génération sacrifiée, système éducatif inefficace et en crise, nécessité de la langue française… tels sont les leitmotivs vus et entendus dans les médias à partir des années 90. Ces discours, issus d’expériences vécues et de ressentis tirés d’une vingtaine d’années de malgachisation, indiquent, de manière explicite, un rapport complexe aux langues : une dévalorisation de la langue nationale et une représentation survalorisée de la langue française dans ces périodes, se traduisant officiellement par le retour en force de l’enseignement du et en français, et, par ailleurs, par la prolifération et le succès inconditionnel des écoles privées dites d’expression française.

4D’autres politiques linguistiques et éducatives venaient ainsi se substituer à cette politique de malgachisation. Retour au français, introduction de l’anglais, nouveau retour au français avec des projets de réforme (ou non) du système éducatif (Ranaivoson et Andriamise, 2013), accompagnés (ou non) de différents partenaires et organismes non gouvernementaux — selon les relations extérieures et les changements réguliers de gouvernants, ces nouvelles expériences suivaient la tendance politique du moment. Néanmoins, le système éducatif semble s’enliser dans une crise qui n’inquiète manifestement réellement que les parents appréhendant un avenir incertain pour leurs enfants. Ainsi, revenir sur la question de la malgachisation actuellement signifie se poser la question sur le système éducatif et notamment sur la place de la langue nationale, mais également de la langue française et des autres langues. Il s’agit d’éléments incontournables dans la recherche de solutions viables de développement dans une société plurilingue vouée à l’ouverture et soumise, comme tant d’autres, au rapport de force mondial et aux contraintes imposées par les idéologies dominantes.

5Y a-t-il toujours lieu de parler de malgachisation dans le contexte actuel ? Quelles langues utilise-t-on et enseigne-t-on dans les écoles primaires et secondaires publiques à Madagascar et dans de nombreuses écoles privées dites d’expression française qui fleurissent partout dans les grandes villes de l’île ? Selon la définition et la vision politique que nous venons de présenter plus haut, le terme de malgachisation ne pourrait sans doute plus être réactualisé, au regard des différents événements historiques sous lesquels il a vu le jour : le contexte a changé, et malgré le fait que la problématique des langues reste toujours d’actualité, de nouvelles donnes devraient être prises en compte. D’ailleurs, officiellement, les langues semblent détenir des places précises comme médium d’enseignement ou comme langue enseignée selon les niveaux. Mais, en même temps, par le constat de ce qui se passe réellement dans les classes, on est amené à se reposer des questions.

6En effet, des données récentes d’enquêtes par questionnaires et par entretiens effectuées auprès d’enseignants, d’élèves et de parents sur 17 sites1 pour le projet régional « Cultures familiales et scolaires : regards croisés d’enfants et d’adolescents du sud-ouest de l’Océan indien »2 confirment certaines hypothèses sociologiques et sociolinguistiques sur les langues et l’école. D’une part, on constate le décalage entre politique linguistique éducative et réalités sociolinguistiques des classes3 et, donc, par extrapolation des familles. Et, d’autre part, les données montrent le décalage concernant la maîtrise des langues entre les écoles, ce qui pourrait indiquer la différence de cette maîtrise entre certaines classes sociales. Les écoles de familles « favorisées » présentent ainsi un capital culturel et linguistique plus riche. Ceci devrait être, cependant, nuancé dans la mesure où la notion de classe sociale reste à questionner à Madagascar.

7Les données montrent que malgré l’utilisation du français comme langue d’enseignement au niveau secondaire dans les différentes matières scientifiques, beaucoup d’enseignants donnent ou dictent les leçons en français pour les expliquer en malgache par la suite. Différentes raisons expliquent ce passage d’une langue à une autre : une non-maîtrise du français par les enseignants eux-mêmes4, par les élèves ou par les deux, ce qui empêche une réelle communication dans le médium officiel d’enseignement. Dans les discours d’enseignants et d’élèves, cette alternance au niveau de l’utilisation des deux langues semble aller de soi et signifie une complémentarité de leurs fonctions respectives dans le processus de transmission et d’appropriation du savoir. Par ailleurs, les données des questionnaires sur les représentations du mélange de langues montrent que certains enquêtés déclarent ne pas apprécier le variaminanana5 dans leurs pratiques, mais, paradoxalement, semblent trouver « normal » d’en faire usage en classe. La recherche d’une solution immédiate et efficace dans un quotidien lourd et difficile amène ainsi à rendre cet usage nécessaire et incontournable pour un pourcentage important d’écoles primaires et secondaires du pays, à le légitimer pour devenir sans doute une (nouvelle) norme scolaire.

8Ainsi, la question qui se pose concernera encore et toujours la langue d’enseignement à Madagascar. Ceci est-il — toujours — le résultat de la malgachisation ou des autres politiques linguistiques éducatives qui lui ont succédé, ou tout simplement le reflet de tout un système qui demande de profondes réformes ? Pour clore ces différents constats et mieux ouvrir les perspectives de réflexions, on peut déduire qu’une politique linguistique ou une politique linguistique éducative efficace pour Madagascar, comme partout ailleurs, devrait alors prendre en charge la question de la pluralité linguistique pour donner à chaque enfant la même chance de s’ouvrir à l’Autre.

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BIBLIOGRAPHIE

Ranaivo, Velomihanta, (2013), Plurilinguisme, francophonie et formation des élites à Madagascar (1795-2012). De la mixité des langues, L’Harmattan, Paris.

Ranaivoson, Jeannot Fils et Andriamise Lakoarisoa, (2013), « Ny teny malagasy tao anatin’ny 50 taona nahaleovan’i Madagasikara tena : ny satany ara-panjakana sy ny zava-misy », Actes du colloque « Madagascar : 50 ans d’indépendance », in Annales de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines, n° 15.

Ratsiraka, Didier, (1975), Charte de la révolution socialiste malagasy.

Tiana Razafindratsimba, Dominique, (2014), « Problématiques sociolinguistiques et enjeux de la didactique du plurilinguisme et du contact des langues à Madagascar », in Actes du Séminaire du MAPEF Enseigner et apprendre les langues à Madagascar : quelle(s) entrée(s) pour le XXIe siècle ?, INFP Mahamasina, Madagascar.

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Notes

1 Dix-sept sites d’écoles primaires et secondaires publiques et privées de la capitale d’Antananarivo, de Manjakandriana, de Toamasina et de Foulpointe.

2 Projet régional (2014-2017) regroupant une dizaine de chercheurs de l’Université de La Réunion, l’Université d’Antananarivo (FLSH et ENS), l’Université de Toamasina, l’Université des Seychelles et l’Université de Maurice.

3 Des classes primaires et secondaires, mais également des universités (à travers nos observations et nos années d’expérience en enseignement supérieur).

4 Le manque de formation continue, l’important recrutement d’enseignants n’ayant pas les compétences linguistiques ou autres ainsi que les diplômes nécessaires sont, parmi tant d’autres, des éléments explicatifs de ce phénomène. Le cas du recrutement d’enseignants non fonctionnaires ou maîtres FRAM au primaire ces derniers temps est un exemple de problème de gestion dans le suivi des carrières des enseignants.

5 Mélange du malgache et du français (ou d’autres langues) dans le discours.

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Pour citer

Dominique Tiana Razafindratsimba, Réflexions sur la malgachisation
Le français à l'université , 21-04 | 2016
Mise en ligne le: 13 décembre 2016, consulté le: 23 avril 2024

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Auteur

Dominique Tiana Razafindratsimba

Centre de Recherche et d’Études sur les Constructions Identitaires, Université d’Antananarivo (Madagascar)

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