Le français à luniversité

Oui, La Gambie veut, sait et peut parler le français! L’université gambienne à l’ère francophone

Ndèye Maty Paye

Texte intégral

1Les stéréotypes ont la vie dure! Cette amorce explique l’idée préconçue selon laquelle la République gambienne et ses habitants sont ancrés dans leurs traditions britanniques de manière permanente, refusant catégoriquement de s’ouvrir aux autres langues. Rappelons la définition du stéréotype selon Henri Boyer (2001 : 42) :
Le stéréotype est une représentation [...] issue d’une accentuation du processus de simplification, de schématisation, et donc de réduction propre à toute représentation collective, conduisant au figement. Le stéréotype n’évolue plus, il est immuable, d’une grande pauvreté.

2De ce constat est née une thèse soutenue en 2012 à Montpellier III, sous la direction de Mme Carmen Alèn Garabato, pour montrer une fois de plus le caractère faux et trompeur de la stéréotypie. L’argumentaire s’appuyait, dans ce cadre, sur l’exemple de la Gambie, où nous avons détecté, d’après nos enquêtes menées en 2010 à Banjul et à Brikama, l’émergence d’une francophonie bien vécue et acceptée. Progressivement, nous avons observé sa tolérance, depuis les hautes sphères de l’État jusqu’aux populations locales en passant par l’université gambienne (UTG). Sous un angle pragmatique, la Gambie, et l’université en particulier, s’intéressent davantage à la langue française comme outil de travail et d’érudition. À cet effet, elles projettent de la rendre obligatoire, toutes filières confondues.

3D’emblée, nous présentons l’université gambienne comme une institution consciente de l’importance de la pluralité linguistique et du poids des langues dans les enjeux économiques. La présence francophone n’est ni une utopie, ni un mythe, encore moins une illusion à l’UTG, mais une réalité. Cette observation entraîne une deuxième considération, à savoir que la langue dépasse les frontières géographiques habituelles pour pénétrer petit à petit dans des zones étrangères inattendues. Le présent article s’intéressera à l’environnement francophone de l’UTG et aux politiques universitaires destinées à promouvoir la langue. Nous entendons la notion de politique au sens de Louis-Jean Calvet (1996 : 3) : « La politique linguistique est la détermination de grands choix en matière de rapports entre les langues et les sociétés, et sa mise en pratique est appelée la planification linguistique. »

4L’université gambienne, créée en mars 19991, toute jeune encore, est financée par l’État gambien. Elle est pleine de dynamisme, car ouverte aux échanges et au partage des savoirs entre les ressources locales, mais aussi extérieures2 : Cheikh Anta Diop et Gaston Berger (Sénégal), Limoges (France), Vaxjo (Suède), St Mary’s College (Maryland, États-Unis), parmi tant d’autres. Le département de français de l’UTG accueille régulièrement des professeurs invités aux origines diverses avec l’appui de l’Agence universitaire de la Francophonie, de la Coopération Française et d’autres organismes.

5Son excellence, M. le président de la République, Yayah Jammeh, recteur et président de l’université de Gambie, est le premier à servir de référence dans cette promotion du français. À la visite du président sénégalais, M. Abdoulaye Wade3, en janvier 2010 à Banjul, le signal était fort pour la francophonie. Le président gambien a tenu son discours en français et le leader sénégalais a réalisé son allocution en anglais. Dans une perspective altermondialiste, le français est sans nationalité en demeurant international. Il est érigé au rang de langue de coopération, de collaboration, de cohésion et de partage dans le respect de la diversité culturelle et linguistique, par l’administration universitaire.

6Au sein de l’université, le vice-président, le professeur Kah, et le professeur Jah ne perdent aucune occasion pour rappeler lors des cérémonies officielles l’importance du français. Ils exhortent la communauté estudiantine à apprendre et à parler le français. Nous pensons notamment au discours de la rentrée universitaire 2014, où la langue française a bénéficié d’éloges de la part des autorités universitaires. C’est dans ce cadre que l’UTG, pourtant anglophone à la base, n’hésite pas à intégrer l’enseignement de la langue française dans ses programmes. En effet, qu’importe la discipline choisie par l’étudiant, celui-ci est tenu d’apprendre une deuxième langue pour mieux s’armer lors des communications internationales. Parmi les options offertes, le français est choisi par plus de 90 % des étudiants et devance l’arabe, comme nous l’affirmait le doyen de la Faculté des lettres et sciences humaines, le docteur Pierre Gomez. L’autre signe encourageant pour l’avenir du français à l’université gambienne est que son département compte parmi l’un des premiers, à côté de l’histoire et de la santé publique, à offrir un programme de master, là où d’autres départements n’offrent pour l’instant qu’un programme de licence. Ainsi, le département de français est riche d’un master en Arts, Lettres et Langues, mention Lettres. Ce dernier est né d’un accord signé sur la codiplomation4 entre l’université de Gambie et celle de Limoges, en juin 2008. Il est financé par les deux universités en collaboration avec l’Agence universitaire de la Francophonie et la Coopération Française. La durée de l’accord est de quatre ans renouvelable. Ce master a déjà enregistré un franc succès avec la soutenance de sa première promotion en octobre 2010. Nous avons eu l’opportunité d’encadrer la nouvelle promotion 2013-2014, ayant soutenu leur master 1 avec des mémoires portant sur des thèmes variés : le cinéma africain, la littérature comparée, ainsi que la sociolinguistique. Tout naturellement, elle enchaîne le master 2, devant être soutenu vers septembre 2014.

7Dans les disciplines non linguistiques, le français en tant que langue étrangère est enseigné sous l’appellation de français fondamental. Cependant, le français sur objectifs spécifiques (FOS) reste un enseignement majeur né de la demande des professionnels du tourisme et de l’hôtellerie, de la santé publique, des banques… Il est à noter que les étudiants en médecine font généralement leur spécialisation au Sénégal francophone, d’où leur apprentissage du français et des termes usuels dès leurs pays d’origine, avec Mme Ceesay Mame Tute, qui doit composer avec des effectifs élevés et un emploi du temps surchargé.

8L’AUF a doté l’UTG d’un campus numérique (digital campus) géré par le docteur Sylvie Coly. Celui-ci est équipé d’ordinateurs permettant la documentation, les recherches bibliographiques et offre des formations en ligne aux étudiants. Nous y trouvons aussi une bibliothèque donnant accès à des ouvrages de littérature française et francophone, de critique littéraire, de sociolinguistique, de FOS, de FLE, d’économie, de droit… Toutefois, cette riche documentation reste réduite et insuffisante face à la demande perpétuelle des étudiants. Néanmoins, un développement de l’enseignement du français sur objectifs spécifiques (FOS) s’opère, avec notamment le français juridique et le français médical, afin de préparer les étudiants gambiens à pouvoir communiquer en français sans barrière dans leurs futurs milieux professionnels.

9La Coopération Française assistait le gouvernement gambien avec le premier Projet d’Appui à la Diffusion et à l’Enseignement du Français (PADEF), au montant de 610 000 euros, de 1998 à 2005. C’est d’ailleurs grâce à ce projet antérieur que certaines promotions locales ont pu bénéficier d’une aide financière à la mobilité et à la recherche et poursuivre leurs études supérieures à Limoges ou à Besançon, par exemple. À la demande du partenaire gambien, le Projet Pour Un Ancrage Du Français En Gambie (PAFEG), d’un montant de 800 000 euros, a été financé. Les grands traits de ce projet (2007 : 5-7)5 se résument à faire du français un outil de travail.

10Gambia College est l’institut universitaire qui s’occupe de la formation des enseignants de l’école. Les étudiants de français préparent leur diplôme Higher Teachers Certificate (HTC) en trois années. Les deux premières années de formation sont théoriques et la troisième année est pratique, celle-ci incluant un stage professionnel. Les candidats sont généralement recrutés au niveau G12 (Terminale), après avoir été soumis à un test d’aptitude, pour vérifier leur niveau en français et s’assurer qu’ils peuvent suivre les cours dispensés en français.

11Il n’en demeure pas moins que des obstacles surgissent et freinent l’élan positif noté pour l’enseignement/apprentissage du français à l’université. Il conviendrait dans un prochain article de diagnostiquer les problèmes rencontrés dans la diffusion du français à l’université afin de proposer des solutions. Dans cette présente rédaction, l’occasion nous a été offerte de présenter l’environnement francophone dans lequel baigne l’université gambienne afin de balayer toute affirmation gratuite et non fondée. En majorité, des représentations positives du français et de l’espace francophone sont notées à l’UTG. Des valeurs — esthétique, pratique, identitaire, affective, fonctionnelle (Calvet, 1999 : 75) — sont conférées à la langue française, et par les autorités universitaires, et par la communauté estudiantine. Cette image positive est aux antipodes des faux jugements de valeur considérant la Gambie comme une terre close, bornée. En Gambie, on parle aussi le français! En témoigne son université, actrice et active, aux premières loges pour la diffusion du français.

Haut de page

BIBLIOGRAPHIE

Boyer, Henri, (2001), Introduction à la sociolinguistique, L’Harmattan, Paris.

Calvet, Louis-Jean, (1999), Pour une écologie des langues du monde, Plon, Paris.

Paye, Ndèye Maty, L’émergence d’une francophonie en Gambie. Représentations, Promotion, Obstacles. Les résultats des enquêtes menées à Banjul et Brikama en 2010, sous la direction de Mme Carmen Alèn Garabato, Université de Montpellier 3, thèse soutenue en décembre 2012.

Chaudenson, Robert, (2006), Vers une autre idée et pour une autre idée de la langue française, L’Harmattan, Paris.

Haut de page

Notes

1 http://www.unigambia.gm/index.php?option=com_content&view=article&id=13&Itemid=14, consulté le 13 mars 2011.

2 Course Handbook, Department of Arts and Humanities, University of the Gambia, p. 3.

3 L’événement a été rapporté comme un moment de fraternité entre les deux pays et une opportunité pour renforcer leurs coopérations bilatérales. La presse écrite gambienne, à l’exemple du Daily Observer du 6 janvier 2010, n° 165, affichait ainsi une photo où les deux présidents apparaissaient main dans la main, pour rappeler l’amitié et l’unité qui réunissent leurs deux gouvernements.

4 Informations tirées du protocole d’accord sur la codiplomation pour le master en Arts, Lettres, Langues, mention Lettres.

5 « Financing Agreement between The Government of The French Republic and The Government of The Republic of The Gambia, for implementation of project n° 2007-21, for a Francophone Anchor in The Gambia » (2007).

Haut de page

Pour citer

Ndèye Maty Paye, Oui, La Gambie veut, sait et peut parler le français! L’université gambienne à l’ère francophone
Le français à l'université , 19-01 | 2014
Mise en ligne le: 20 mars 2014, consulté le: 19 mars 2024

Haut de page