Le français à luniversité

Introduction de l’interculturalité dans l’enseignement du FLE et de la civilisation/culture françaises

Snezana Petrova

Texte intégral

1Dans le domaine de l’enseignement du FLE en République de Macédoine, nous avons subi de nombreuses transitions, que cela soit au niveau des programmes d’étude ou de celui des méthodologies d’apprentissage. Cependant, une présence plus concrète et appropriée de la civilisation/culture dans l’apprentissage du FLE, et surtout une plus grande sensibilisation à l’interculturel, manquent encore.

2Nous estimons que l’apprentissage d’une langue doit forcément passer par l’apprentissage de sa civilisation et de sa culture. Mais l’enseignement de la civilisation ne doit plus se borner à l’accumulation d’éléments culturels comme la façon de vivre des Français, leur mentalité, les grands personnages de l’histoire ou du quotidien, car comme le dit Vincent Louis, « l’enseignement de la civilisation se transformerait en un fourre-tout folklorique ». Cet enseignement devrait dorénavant être basé sur des dialogues entre cultures, sur des réflexions plus contemporaines, plus comparativistes, car il doit répondre aux besoins des apprenants actuels, vivant dans un monde de diversités culturelles, de globalisation, de mondialisation.

3Dans l’interculturel, la diversité des cultures est mise de l’avant. Chaque individu appartient à un ou des groupes qui sont différents les uns des autres, et son identité est constituée de l’entrecroisement des cultures de ces groupes. En fait, l’interculturalité se définit par notre rapport à soi et à l’Autre, et par la relation avec l’Autre. L’interculturel renvoie à la manière dont on voit l’Autre et à la manière dont on se voit par les yeux de l’Autre. Nous ne parlons pas ici de simple juxtaposition de cultures, mais d’échanges entre cultures, de relations qui se construisent et qui s’entretiennent entre l’individu et autrui. Ce n’est pas non plus une simple comparaison de cultures, car analyser les similitudes et les divergences des différentes cultures n’est, en quelque sorte, qu’un point de départ à la démarche interculturelle. Déjà en 1983, Abdallah-Pretceille nous avait mis en garde en s’exprimant de cette façon : « […] établir un parallèle, vouloir retrouver dans chaque culture les mêmes éléments mais sous des formes différentes ou des degrés de maturités différentes impliquent la croyance en l’existence d’un schéma culturel universel à partir duquel s’ordonneraient toutes les cultures. Or, on le sait, chacun ramène l’universel à soi-même (1983:41, cf. Zarate, 1983:8 et39). » L’interculturel suppose clairement une position d’ouverture et de découverte de l’autre de la part de l’apprenant (et peut-être dans certains cas aussi de la part de l’enseignant).

4La formation interculturelle doit s’intégrer dans l’enseignement du FLE et, ainsi, préparer le citoyen à la diversité, à des mécanismes d’évaluation et de compréhension qui ne sont plus ethnocentriques. Le contact avec autrui introduit un équilibre, une médiation entre autrui et soi. L’interculturel est un médiateur de cultures, ce que n’est pas le multiculturel. L’enseignement de la civilisation/culture doit s’adapter, et l’enseignant doit maintenant être capable de répondre à des questions culturelles multiples, ou du moins savoir en parler, ce qui fait qu’il ne peut en aucun cas suivre aveuglément les manuels d’apprentissage du FLE ou de civilisation (même francophone), lesquels ne contiennent pas forcément des données interculturelles et ne prennent certainement pas en considération les ethnies et cultures qui sont présentes dans chaque pays. Ce travail peut devenir assez complexe, car l’apprenant se trouve confronté à au moins trois cultures. D’abord, celle qui lui est propre (sauf dans le cas des bilingues qui peuvent déjà être au sein de deux cultures), celle de son voisin, de son collègue ou interlocuteur qui peut avoir une culture différente de la sienne et celle que l’on doit apprendre ; ici la culture française qui, elle aussi, est francophone, si ce n’est plus. Donc, l’objectif de l’enseignement du FLE et de civilisation française, ou francophone, n’est plus de transformer ces nouveaux apprenants en « petits Français », mais de leur présenter la culture « multiple » de ces derniers et de pouvoir en parler librement.. L’apprenant n’est donc plus un simple récepteur de toute information énoncée en français, mais il en devient aussi le coauteur. De cette façon, il s’initie à la compréhension des multiples manières d’être, de penser et d’agir propres aux différentes cultures francophones, ce qui constitue un des enjeux de l’enseignement du FLE. Pour parler de culture en FLE, il ne suffit plus de présenter la culture française ; il faut aussi introduire la culture francophone, celles des anciennes colonies françaises et des communautés françaises de Belgique, de Suisse normande, du Québec, etc. Pour que les apprenants aient une idée concrète de la France, il faut aussi les sensibiliser à la multiethnicité des immigrés qui vivent en France. Ainsi, l’image de la culture/civilisation française sera plus réelle.

5Quelle serait la première démarche interculturelle en classe? Dès le premier cours, et par respect de l’Autre et de soi-même, une prononciation correcte du nom et prénom de l’Autre pourrait être « la » première démarche. La francisation des noms serait à notre avis des plus malvenues. De ce fait, l’enseignant devrait laisser l’apprenant se présenter et mémoriser ses nom et prénom comme il se doit. Si cet effort est fait de la part de l’enseignant, les autres apprenants suivront son exemple. Ensuite, vient l’instauration d’une atmosphère de confiance entre les uns et les autres, qui est facilitée par cette démarche ; à partir de là, des questions plus culturelles et plus complexes pourront être abordées .

6Autre exemple de démarche interculturelle : un thème de civilisation parmi d’autres qui pourrait être traité lors d’une formation interculturelle est celui de l’étude du calendrier ou des fêtes françaises. Il est clair que les fêtes de Noël et du Nouvel An, de Pâques et de la Saint-Valentin ne sont pas célébrées de la même façon en France et en Macédoine, ni d’ailleurs au Sénégal, en Belgique ou au Canada. Le sens, les motifs, les dates, les coutumes (chants de Noël, repas du Réveillon, œufs de Pâques, etc.) sont différents. Le rôle du professeur est ici de sensibiliser l’apprenant sur ces différences et de le pousser à faire des recherches, des comparaisons. Ainsi, ici seront abordées des étapes qui, du point de vue interculturel, mettront deux ou plusieurs groupes d’individus de cultures, d’origines différentes ou de profils distincts en présence. Ce travail interculturel pourrait donc reprendre les trois étapes de Vincent Louis. Premièrement, les apprenants de culture ou ethnie différentes devront se lancer à la recherche de points communs. Pour cela, ils doivent avant tout prendre du recul vis-à-vis leur propre environnement culturel. Pour faciliter ce travail, l’idéal serait de placer les étudiants dans un environnement assez neutre et dans une ambiance favorable pour ce genre de situation : la classe. Donc, il faudrait peut-être éviter d’y accrocher uniquement des images ou photos de la France et de son patrimoine. Deuxièmement, l’apprenant devra prendre conscience de sa propre culture, et peut-être pour la première fois la voir avec les yeux de l’Autre. Ainsi, on pourra mettre en évidence les différences qui vont, dans la majorité des cas, provoquer des étonnements, des questions. Troisièmement, pour ne pas rester au stade du pluriculturel ou du multiculturel, il faudra penser à élargir et, de ce fait, à relativiser les points de vue, les relations culturelles, ce qui permettra d’en construire de nouvelles qui seront interculturelles. Dans cette démarche, il ne faut en aucun cas imposer sa culture à l’autre ou bien adopter la culture de l’autre, mais il faut développer un nouveau cadre qui sera enrichi des cultures de l’un et de l’autre. Il est clair que pour arriver à cela il n’y a pas de méthodes d’enseignement, mais tout passe par l’expérience et la pratique et ne se fait pas en un claquement de doigts. Dans cette perspective, l’idéal serait d’avoir un enseignant qui a vécu des différences culturelles, qui a été confronté à elles, mais qui a su, de façon rationnelle, les analyser, les noter, pour savoir ensuite les partager avec ses apprenants. Il ne faudrait surtout pas qu’il les ait uniquement subies. Pour cela, il est clair qu’une bonne relation doit avoir été établie entre les apprenants et l’enseignant, pour que les uns les autres puissent partager leur vécu, leurs questions et réflexions sans être critiqués ou mal vus. Il est également clair que ces réflexions, mises en évidence par des temps de parole qui peuvent être plus ou moins conséquents, coïncident avec des niveaux de langue qui dépassent le niveau B1, car les étudiants doivent d’abord bien comprendre l’enseignant, mais avoir également la possibilité de s’exprimer assez facilement à l’oral comme à l’écrit. Cependant, il ne faut aucunement pénaliser les étudiants qui, à un moment ou à un autre, voudraient s’exprimer dans leur langue maternelle, car le but ici est de faire passer l’idée, la réflexion et l’interaction. Dans une formation interculturelle, l’ancrage des apprenants au curriculum est facilité, car ils sont invités à utiliser des références qui leur sont propres, et la construction de leur apprentissage ne peut en être que plus solide.

7Dans la perspective interculturelle, chaque acteur du milieu scolaire doit s’engager dans une démarche toute personnelle dans l’acquisition de savoirs pour pouvoir parler, assumer et vivre la diversité. La difficulté principale est que, dans les diversités culturelles qui constituent les sociétés d’aujourd’hui, nous devons inventer une unité nouvelle, interculturelle, qui serait capable de nourrir une nouvelle conscience collective, élaborer une nouvelle forme de « démocratie » qui tiendrait compte de la réalité pluriculturelle des sociétés.

Haut de page

BIBLIOGRAPHIE

Abdallah-Pretceille M., 1983, « La perception de l'Autre : point d'appui de l'approche interculturelle », Le Français dans le monde,  p.181

Abdallah-Pretceille M., 1986, Vers une pédagogie interculturelle, Paris, Publications de la Sorbonne.

Abdallah-Pretceille M. et L. Porcher, 1996, Éducation et communication interculturelle, Paris, PUF.

Abdallah-Pretceille M., 1999, L’éducation interculturelle, Paris, PUF.

Abdallah-Pretceille M., 2003, Former et éduquer en contexte hétérogène : Pour un humanisme du divers, Paris, Anthropos Éd. Economica.

Beacco J.-C., 2007, L’approche par compétences dans l’enseignement des langues, Paris, Didier.

Collès L., C. Develotte, G. Géron et F. Tauzer-Sabatelli, 2007, Didactique du FLE et de l’interculturel : Littérature, biographie langagière et médias, E.M.E.

De Carlo M., 1998, L’interculturel, Paris, Clé international.

Louis Vincent, Interactions verbales et communication interculturelle en FLE ; de la civilisation française à la compétence (inter)culturelle, Collection « IRIS », dirigée par Silvia Lucchini, E.M.E.

André Rebouillet, 1973, l’enseignement de la civilisation française, pratique pédagogique, Paris, Hachette.

Haut de page

Pour citer

Snezana Petrova, Introduction de l’interculturalité dans l’enseignement du FLE et de la civilisation/culture françaises
Le français à l'université , 17-04 | 2012
Mise en ligne le: 07 janvier 2013, consulté le: 20 avril 2024

Haut de page

Auteur

Snezana Petrova

Université Saints-Cyrille et Méthode, République de Macédoine

Haut de page