Le français à luniversité

Comment savoir si un nouveau dispositif d’enseignement répond aux besoins des apprenants ? Le cas de la formation de professeurs de français à l’Université du Cap

Vanessa Everson

Texte intégral

1Cet article a pour objectif de retracer la genèse d’un nouveau dispositif d’enseignement lancé en 2008 par l’Université du Cap (UCT) en Afrique du Sud et d’expliquer comment en entreprenant une évaluation interne il est possible de savoir si un tel dispositif universitaire correspond aux fins pour lesquelles il a été conçu.

2Depuis les premières élections démocratiques de 1994, l’Afrique du Sud se tourne résolument vers le reste du continent africain, désireuse de participer pleinement à son avenir après avoir vécu pendant des décennies la douleur de la ségrégation. Dans cette nouvelle Afrique du Sud, l’Université du Cap (UCT) souhaite devenir une institution « afropolite » (UCT non daté) en mettant au profit du continent ses capacités en termes de formations et d’expertises.

3Puisque numériquement plus d’un Africain sur deux est francophone et que l’Afrique du Sud est maintenant ouverte au reste du continent, un besoin croissant en compétences en français se fait ressentir. Or, vu l’existence de onze langues nationales dans ce pays et compte tenu du désir du département d’éducation national sud-africain de les promouvoir ainsi que leur enseignement, la formation de professeurs de français ne figure pas parmi ses priorités. En effet, jusqu’en 2008, il n’y avait que des formations de type généraliste qui ne prenaient pas en compte les spécificités de l’enseignement du français dans un pays où cette langue n’est ni langue officielle ni médium d’instruction, mais où, même si l’on peut parler d’une francophonie émergente1, elle constitue néanmoins une langue étrangère. C’est pourquoi la section de français de la UCT a lancé il y a quatre ans une formation de professeurs de FLE au niveau master 1, formation qui s’est élargie au niveau master 2 l’année suivante2. Il s’agira d’une innovation en termes de formation, aucune autre formation de professeurs de FLE n’existant ni en Afrique du Sud ni d’ailleurs dans les pays limitrophes anglophones.

4Dans ce qui précède, nous avons vu que le dispositif d’enseignement qui est proposé par la UCT est en rupture avec les pratiques habituelles. Puisqu’il s’agit d’une offre de formation émanant non d’une demande de formation clairement explicitée, mais d’une prise de conscience d’un contexte sociopolitique évolutif, il nous a semblé d’autant plus important de savoir si, une fois mis en place, ce dispositif d’enseignement correspondait aux besoins des formés. Dans un esprit d’amélioration continue de la qualité des formations dispensées, tel qu’il est défini par Deming (1984) et repris par le Roux (2006), il a donc été décidé d’effectuer une évaluation interne3 de la formation FLE en conformité avec ce que dit la Commission pour l’évaluation de l’enseignement collégial (CEEC) (CEEC 1994, cité par Le   2004 : 18). Ainsi, au terme des trois ans du fonctionnement de la nouvelle formation, une démarche d’évaluation en plusieurs étapes a-t-elle été mise en place, inspirée des travaux de De Ketele (2003 : 183).

5Il a fallu commencer par préciser les finalités de l’évaluation qui, nous l’avons vu, visait à savoir si le dispositif d’enseignement correspondait aux besoins des formés et s’inscrivait donc dans le principe d’amélioration continue de la qualité. Deux finalités de l’évaluation ont donc été retenues : une finalité vérificatrice en vue de savoir si la formation a permis aux apprenants d’acquérir une compétence professionnelle transférable dans leur activité en tant qu’éducateurs dans le domaine du FLE et une finalité corrective afin d’identifier quelles améliorations apporter au programme.

6Il a ensuite fallu définir les objectifs de l’évaluation. En nous appuyant sur les travaux du Centre d’études pour la direction du personnel (CEDIP non daté), nous avons voulu compléter le modèle de De Ketele qui, lui, s’intéresse à l’évaluation a priori (en amont) et a posteriori (en aval) (ibid. : 184) en évaluant également le « pendant » de la formation. C’est ainsi que nous avons retenu des objectifs en amont en cherchant à juger la qualité de la conception pédagogique du programme et comment l’améliorer, des objectifs pendant la formation en vérifiant la qualité de son déroulement et comment l’améliorer ainsi que des objectifs en aval en interrogeant la qualité des effets à court et à long terme. Toujours selon la méthodologie d’évaluation préconisée par De Ketele (ibid. : 217), l’étape suivante a été de préciser des critères d’évaluation, puis de les opérationnaliser à l’aide d’indicateurs, éléments qui permettent de dire si un critère est ou non rempli.

7C’est ainsi que sept critères, divisés en trois parties, ont été retenus, chaque critère se déclinant en plusieurs indicateurs, chiffrés en fonction du critère auquel ils se référaient. La première partie (l’évaluation en amont) concernait la conception pédagogique du programme pour laquelle deux critères ont été identifiés, le premier concernant l’adéquation des finalités et des objectifs du programme et des modules qui le composent, aux besoins socioéconomiques et socioéducatifs des apprenants. Pour le second, il s’agissait de mesurer la cohérence intraobjet pour chacun des modules, en cherchant à savoir si les finalités et objectifs du programme et de ses modules sont clairement formulés et énoncés, alors que pour la cohérence inter-objet, il était question de voir dans quelle mesure les modules dont est composé le programme sont cohérents entre eux par rapport aux finalités et objectifs de ce dernier.

8La deuxième partie évaluait le « pendant » de la formation en retenant quatre critères. Le premier concernait le déroulement de la formation et cherchait à mesurer la qualité de l’équipe de formateurs, leur nombre, leurs compétences, leur engagement et leur prestation par rapport à l’atteinte des objectifs. Le deuxième visait à mesurer la qualité de l’engagement des apprenants en se penchant sur leur participation active, la convivialité de l’atmosphère et leur assiduité. Le troisième critère dans cette partie a évalué l’adéquation qualitative et quantitative des ressources matérielles et financières affectées au programme en termes de locaux, d’équipements, de ressources pédagogiques et de leur disponibilité. Le quatrième critère, lui, concernait l’efficacité de la gestion du programme, à savoir les structures et méthodes de gestion, les moyens de communication utilisés ainsi que l’évaluation du programme en ce qui concerne la définition des responsabilités des acteurs, la description du programme, l’élaboration de l’emploi du temps et la communication des résultats des évaluations sommatives.

9La troisième partie de l’évaluation (en aval), quant à elle, avait pour objectif d’évaluer les effets de la formation. Pour cette partie, un seul critère a été retenu, qui visait à savoir dans quelle mesure les compétences acquises au terme de la formation permettaient l’insertion des formés dans le monde professionnel ainsi que le transfert de compétences acquises en contexte professionnel.

10À la suite de l’élaboration du référentiel de compétences qui, nous l’avons vu, a été décliné en critères et indicateurs, un questionnaire administré anonymement et comportant 153 questions a été compilé ; les questions, quant à elles, étaient numérotées. Vingt des vingt et un formés ayant suivi la formation pendant une période de trois ans (2008-2010) ont accepté de le remplir. Dix-huit questionnaires ont été retournés et analysés.

11La longueur de cet article ne nous permet d’inclure ni les données collectées ni leur analyse détaillée. Il suffit de dire que celle-ci a permis de dégager les forces et faiblesses de la formation en vue de l’améliorer. Nous signalons donc que, même si le degré de satisfaction des formés s’est révélé pour la plupart élevé, l’analyse menée nous a permis d’identifier quatre actions qui permettraient d’améliorer la formation.

12L’évaluation présentée ci-dessus est bien sûr loin d’être exhaustive, car elle se limite à la perception des formés et devrait être complétée par d’autres recherches pour la mettre en perspective. Néanmoins, elle peut intéresser ceux qui désirent jauger le degré d’adéquation d’un dispositif d’enseignement aux attentes de leurs publics.

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BIBLIOGRAPHIE

Centre d’études pour la direction du personnel (CEDIP). Non daté. Fiche technique n° 4 : Évaluer une action de formation (http://www.cedip.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/fichetech4-a3_cle02eee7.pdf ; consulté le 17 mai 2011).

Commission d’évaluation de l’enseignement collégial (CEEC). 1994. L’évaluation des programmes d’études. Québec (http://www.ceec.gouv.qc.ca/publications/ORIENTATION-DOC/ProgrammesCadre.pdf ; consulté le 17 mai 2011).

Jean-Marie De Ketele, 1989, Guide du formateur, Bruxelles : De Boeck (Éd. 2003).Vanessa Everson, 2010, Postgraduate studies in Teaching French as a Foreign Language at UCT: an innovative response to an emerging francophonie? French Studies in Southern Africa, Numéro spécial, 40, p. 171-192.

Claude Le Ninan, 2004, Expertise de programme, Cours de Master 2 Sciences du Langage : Métiers du FLE. Centre de Linguistique appliquée, Université de Franche-Comté, Besançon.

Sophie le Roux, 2006, Évaluation d’un programme en français du commerce maritime, Mémoire de Master 2 en Sciences du langage : Métiers du FLE, Centre de Linguistique appliquée, Université de Franche-Comté, Besançon (http://mediacla.univ-fcomte.fr/ListRecord.htm?list=table&table=3&field=21%3B31%3B131%3B141%3B151%3B9990&what=delena ; consulté le 17 mai 2011).

The W. Edwards Deming Institute. Extrait du chapitre 2 de Deming, W. Edward, 1986, Out of the crisis, USA : MIT Press (http://deming.org/index.cfm?content=66 ; accédé le 17 mai 2011).

Université du Cap (UCT). Mission statement (http://www.uct.ac.za/about/intro ; consulté le 17 mai 2011).

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Notes

1 Voir à ce propos 2010 French Studies in Southern Africa, Numéro spécial, 40, qui est consacré à ce phénomène.

2 Le détail de ce dispositif d’enseignement ne figure pas dans cet article, ayant fait l’objet d’une recherche précédente. V. Everson, 2010, Postgraduate Studies in teaching French as a Foreign Language at UCT: an innovative response to an emerging francophonie? French Studies in Southern Africa, Numéro spécial, 40, p. 171-192.

3 L’évaluation a été lancée par le Roux (avec Everson, l’une des deux gestionnaires de la formation), avec la collaboration d’Adélaïde Héliot. Cet article reprend des éléments de l’étude de le Roux et d’Everson qui a été présentée au IIe forum mondial HERACLES, CLA, Besançon, mai 2011, sous forme de communication.

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Pour citer

Vanessa Everson, Comment savoir si un nouveau dispositif d’enseignement répond aux besoins des apprenants ? Le cas de la formation de professeurs de français à l’Université du Cap
Le français à l'université , 17-03 | 2012
Mise en ligne le: 11 février 2013, consulté le: 25 avril 2024

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Auteur

Vanessa Everson

Université du Cap (Afrique du Sud)

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