Le français à luniversité

Le projet Afripédia

Didier Oillo

Texte intégral

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1Le 15 juin 2012, à Paris, l’Agence universitaire de la Francophonie, l’Institut français et l’association Wikimédia France ont officiellement lancé le programme Afripédia1.

Que recouvre Afripédia ?

2Alors que l’essentiel des contributions sur l’encyclopédie en ligne Wikipédia est aujourd’hui le fait de contributeurs du Nord, l’Institut français, l’Agence universitaire de la Francophonie et Wikimédia France ont souhaité, à l’issue d’un partenariat tripartite, faciliter, en Afrique, la consultation hors ligne de Wikipédia ainsi que la production d’articles consacrés au continent noir et rédigés par des contributeurs africains. Les partenaires veulent que l’Afrique, dont la connectivité est encore très insuffisante, puisse bénéficier de l’encyclopédie collaborative sans accès à l’Internet. Ce nouveau type d’accès, basé sur une technologie innovante, mais dont l’appropriation est simple, permettra à terme d’installer des points de consultation locaux dans des lieux communautaires tels que des écoles, des bibliothèques ou, plus largement, des institutions d’apprentissage. C’est un projet ambitieux pour l’Afrique et qui ne se résume pas à la consultation de contenus majoritairement créés au Nord. Le projet prévoit également un important volet de production de contenus en langue française par et pour l’Afrique.

L’alliance de trois institutions au service du développement de la connaissance

3L’Institut français est l’opérateur du ministère des Affaires étrangères pour l’action culturelle extérieure de la France. À travers son département Langue française, l’Institut français œuvre en faveur de l’attractivité et de la diffusion de la langue française dans le monde. Il assure notamment le développement de l’enseignement de la langue et de la culture françaises au niveau secondaire et universitaire.

4L’Agence universitaire de la Francophonie rassemble 786 institutions d’enseignement supérieur et de recherche dans 98 pays, sur les 5 continents, utilisant le français comme langue d’enseignement et de recherche. Elle a pour mission de contribuer à la solidarité entre les établissements universitaires francophones et au développement d’un espace scientifique en français dans le respect de la diversité des cultures et des langues.

5Depuis deux décennies, l’AUF considère que le moteur de l’innovation repose pour beaucoup sur les technologies de l’information et de la communication. Elle en a fait un des éléments de son influence et y consacre des budgets importants. Elle a été suivie par la Francophonie institutionnelle et ses bailleurs, qui ont privilégié l’installation des Campus numériques francophonesmd.

6Créée en 2004, Wikimédia France a pour objectif de soutenir, en France, la diffusion libre de la connaissance et, notamment, les projets hébergés par la Wikimedia Foundation, comme l’encyclopédie Wikipédia, la médiathèque Wikimedia Commons, le dictionnaire Wiktionnaire, et plusieurs autres projets liés à la connaissance.

7Wikipédia est une encyclopédie multilingue, universelle et librement diffusable. Depuis son lancement officiel par Jimmy Wales et Larry Sanger le 15 janvier 2001, elle est consultable sous forme de wiki sous le nom de domaine wikipedia.org, où elle est en grande partie modifiable par ses lecteurs. Plusieurs autres moyens de consulter l’encyclopédie ont ensuite vu le jour, tels que des sites Web miroirs, des applications pour téléphone intelligent ou un appareil électronique dédié. Le site wikipedia.org est devenu en quelques années l’un des plus consultés au monde2.

Une réponse au déséquilibre de l’information

8Partons du rapport McBride et des conséquences de l’échec du « Nouvel Ordre Mondial pour l’Information et la Communication » pour vérifier les éventuels liens de causalité entre sous-développement et fracture numérique en Afrique. Ce rapport a été déposé en 1980 à la commission internationale de l’UNESCO. Il dénonçait le risque de discrimination croissante entre les « bénéficiaires » et les « laissés-pour-compte » du progrès3. Face à la recomposition générale des forces géostratégiques sous-tendant ces inégalités, de nombreux acteurs économiques et institutions internationales, ainsi que quelques chercheurs en sciences de l’information et de la communication produisirent un discours dithyrambique et promotionnel des TIC comme solution pour le développement social et humain4.

9Depuis de nombreuses années, différents opérateurs, dont l’Agence universitaire de la Francophonie à travers les campus numériques francophonesmd, le projet français des centres ADEN ou les Maison des Savoirs de l’Association internationale des maires francophones, ont essayé de renverser les termes de l’échange en installant, notamment en Afrique, des structures souples et peu coûteuses permettant un décloisonnement numérique. C’est dans cette logique qu’apparaît la première phase du projet Afripédia : s’appuyer sur des technologies innovantes pour permettre à tout utilisateur de consulter l’encyclopédie Wikipedia en français. Une technologie maîtrisée, qui nécessite un microserveur (le plug computer5, mis au point par l’équipe de Wikimédia) et un ordinateur portable à basse consommation d’énergie (le tout ne dépasse pas 30 watts), relié à une production d’énergie locale, panneau solaire et/ou éolienne, est la réponse la mieux adaptée. Dans un premier temps, une vingtaine de campus numériques de l’AUF seront équipés. Les futurs relais d’utilisation seront formés par les soins de l’association Wikimedia France avec le concours de l’AUF et de l’Institut français. Après une phase d’expérimentation puis d’évaluation, l’extension à d’autres structures sera envisagée. Il est également prévu d’inclure au projet le Wiktionnaire.

10Cependant, la fracture numérique s’accompagne de fractures cognitives6 et scientifiques7. C’est ainsi que les promoteurs du projet appuieront la production en français, par des contributeurs africains, d’articles libres sur l’Afrique. Il faut noter que selon des prévisions démographiques, la part de l’Afrique dans la population mondiale en âge de travailler évoluera de 12,1 % en 2005 à 17 % en 2030, pour atteindre 22,1 % en 2050. L’Afrique sera de loin le premier continent francophone du monde. Ces prévisions démographiques interpellent les éducateurs que nous sommes. Il paraît évident que le besoin d’accès aux savoirs est et sera en forte croissance. Il est urgent d’offrir à la talentueuse jeunesse africaine les outils dont elle a besoin pour rentrer dans la société de la connaissance partagée.

Un projet basé sur l’économie des « Communs »

11Un prix Nobel d’économie a été décerné le 12 octobre 2009 à Elinor Ostrom8, qui travaillait sur les « Communs », cette forme spécifique de propriété et de gouvernance qui place les décisions collectives des « communautés » au centre du jeu socio-économique. Cette question des Biens communs est en passe de devenir un « outil pour penser » qui ouvre de nouvelles portes et qui est en adéquation avec les questions du siècle qui débute (crise écologique, irruption des réseaux numériques, économie de la connaissance, modification profonde des régimes de production, redéfinition des droits de propriété immatérielle...). L’extension du travail immatériel et du numérique à l’échelle du monde et dans toutes les activités humaines souligne l’émergence d’un nouveau type de bien commun, articulé autour de la connaissance et de l’information, et des règles collectives de fonctionnement en réseau9.La théorie des Communs connaît un nouveau regain depuis la fin des années 1990, quand on a commencé à considérer les connaissances, les informations et le réseau numérique Internet lui-même comme un nouveau Commun, partagé par tous les usagers, et auprès duquel chaque usager a des droits (libre accès au savoir, neutralité de l’Internet, production coopérative à l’image de Wikipédia...) comme des devoirs. C’est de cette économie qu’est issu Wikipedia et, plus spécifiquement, sa composante Afripédia.

12Durant les années 1990-2005, l’Afrique était dans la phase de la technologie poussée (push). C’était la technologie qui dictait les usages, la demande n’étant que très peu prise en compte. À partir de 2005, la tendance s’inverse, tout en restant dans une logique de l’offre. On constatait alors des frictions entre innovation incertaine et demande mal définie. Les promoteurs du projet Afripédia ont toujours considéré que c’était la demande qui définissait l’offre et que celle-ci devait être adaptée au besoin et ne pas venir se substituer aux capacités existantes. Or, contrairement à d’autres technologies, les TIC impactent toutes les sphères de nos sociétés ; il fallait donc prendre le temps de penser le futur, pour mieux l’anticiper. Voilà le moteur du projet Afripédia : l’anticipation. Ne pas attendre que les industries sous-jacentes à l’économie numérique se décident à investir en Afrique, mais partir du besoin et de la formidable capacité africaine. Gageons que le pari sera gagné.

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Notes

1  Voir http://www.institutfrancais.com/fr/actualit%C3%A9s/afripedia-developper-le-numerique-en-afrique

2 Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Wikipedia

3 Marcel Merle, Bilan des relations internationales contemporaines, Paris, Economica, 1995, p. 40-41.

4 Manuel Castells, La société en réseau, Paris, Fayard, 1994.

5 Un plug computer est un très petit serveur, silencieux, ne consommant que 10 watts et possédant son émetteur WIFI. Il fonctionne généralement avec des clés USB permettant de stocker des données.

6 Bonaventure Mvé Ondo, Didier Oillo, Fractures dans la société de la connaissance, ouvrage collectif, Paris, Hermès, 2006.

7 Bonaventure Mvé Ondo, La fracture scientifique, Paris, Futuribles, 2005.

8 Elinor Ostrom, La gouvernance des biens communs : Pour une nouvelle approche des ressources naturelles, Bruxelles, De Boeck, 2010.

9 Valérie Peugeot, Rencontre débat sur les biens communs, COREDEM, mai 2006, aGter France.

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Pour citer

Didier Oillo, Le projet Afripédia
Le français à l'université , 17-03 | 2012
Mise en ligne le: 10 avril 2013, consulté le: 25 avril 2024

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